La géolocalisation est très en vogue. C’est vrai qu’elle est bien pratique pour les livreurs, par exemple, ne serait-ce d’ailleurs que pour des raisons de sécurité. Néanmoins, la tentation est grande pour les employeurs d’utiliser cette technique pour surveiller de très près les parcours et le temps de travail des collaborateurs concernés.
La Chambre sociale, dans un arrêt du 19 décembre dernier, semble vouloir donner un tour de vis supplémentaire, et assez sévère, à cette utilisation.
Sans rentrer dans le détail de l’affaire, qui oppose une fédération professionnelle et des syndicats, nous retiendrons de cet arrêt de cassation, l’attendu suivant,
rendu au visa de l’article L. 1121-1 du code du Travail. Rappelant que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnés au but recherché », les hauts magistrats ajoutent – élément à souligner – que la géolocalisation « […] n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen […], et [s’il] ne peut être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace […]. De plus, précise la Chambre sociale, « [la géolocalisation] n’est pas justifiée si le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail. »
En l’occurrence, les juges du fond n’avaient pas vérifié s’il existait un moyen alternatif à la géolocalisation pour vérifier la durée de travail des salariés. Dès lors, la cassation était encourue. On remarque donc la forte réticence de la chambre haute vis- vis des dispositifs de géolocalisation. Le parcours de l’employeur est, en effet bordé potentiellement par la nécessité qu’il les utilise, faute d’alternative – mais laquelle ? – et l’impossibilité de la mettre en place pour les cadres.
Un vrai tour de vis, nous semble-t-il.
Uber touchée à son tour
La Cour d’appel de Paris a emboîté le pas à la cour de cassation, dans une affaire concernant cette fois un prestataire d’Uber (C. appel 10/01/2019). Privé de sa collaboration par le géant américain qui avait fermé son accès à l’application en 2016, et se trouvant donc sans travail, le chauffeur qui avait un statut d’autoentrepreneur, a traduit Uber aux Prud’hommes.
Sans surprise, le conseil des Prud’hommes de Paris avait excipé de son incompétence, l’affaire ne concernant pas un contrat de travail. L’intéressé a formé un contredit auprès de la Cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel a renvoyé l’affaire devant le conseil des Prud’hommes, à partir d’une argumentation très élaborée. Les attendus sont analysés en détail dans la Semaine sociale Lamy du 21 janvier par Thomas Pasquier, professeur à l’Institut du droit à l’université Lumière Lyon 2, directeur de l’Institut d’étude du Travail de Lyon.
Nous ne rentrerons pas ici dans les détails de l’analyse. Néanmoins, parmi les éléments essentiels retenus par la Cour d’appel, et qui l’ont amenée à requalifier un contrat de prestations de services en contrat de travail, nous retiendrons les suivants :
Tout d’abord, l’absence de clientèle propre, puisque les passagers transportés sont les clients d’Uber et non ceux du chauffeur. En deuxième lieu, le contrôle permanent de l’intéressé, assorti de possibilités de sanctions. Ensuite, l’impossibilité en pratique pour lui d’apporter ses services à un concurrent d’Uber. Thomas Pasquier envisage, par ricochet, la possibilité pour la justice d’obliger « l’employeur » à respecter la loi relative au temps de travail.
Affaire à suivre, car Uber s’est pourvue en cassation.
Vincent Gardy