Dire les choses en anglais, cela attire davantage l’attention désormais. La langue de Molière est passée de mode, particulièrement en France. Le chef de l’Etat avait d’ailleurs donné le « la » en la matière en début de mandat, avant de devenir plus raisonnable sur ce plan depuis quelques mois. Quoi qu’il en soit, la terminologie « bore out » a peut-être de l’avenir, qui sait.
Elle a été utilisée sur les conseils d’un demandeur dans une affaire aux Prud’hommes, et a été relevée par la cour d’appel dans un arrêt du 6 juin dernier. Cet arrêt est commenté par Patrice Adam, professeur à l’université de Lorraine dans la Semaine sociale Lamy du 24 août dernier. Bore out, cela peut sans doute se traduire par ennui. En l’occurrence, le collaborateur d’une entreprise avait été licencié. Comme souvent, il semble qu’il ne se soit plaint de rien auprès de son employeur avant cette rupture.
Pour faire simple, il s’est pourvu devant les Prud’hommes – qui lui donnèrent raison – en se plaignant d’avoir été placardisé. La monotonie des tâches qui lui étaient confiées, et le fait qu’elles n’auraient pas été conformes à ses compétences et ses attentes, l’auraient plongé dans un état dépressif.
Dès lors, il demandait à voir son licenciement déclaré nul et non avenu pour des faits de harcèlement moral. Patrice Adam consacre un développement à la question de savoir si la constatation de l’ennui au travail deviendrait ainsi un nouveau critère de harcèlement moral.
L’ennui, critère de harcèlement moral
Selon lui, la nouveauté pourrait résider dans l’idée « qu’il est possible de harceler moralement quelqu’un en suscitant volontairement l’ennui », mais il ne lui semble pas, cela dit en substance, que les juges d’appel aient souhaité dans cette circonstance élargir le périmètre de la notion de harcèlement moral.
Au demeurant, si l’ennui ressenti devenait un critère de harcèlement moral, le nombre de contentieux exploserait ! Patrice Adam évoque à cet égard les embauches de personnes surqualifiées par rapport à leur CV qui, inévitablement, vont s’ennuyer au bout d’un certain temps. L’employeur aura certes une part de responsabilité dans ce phénomène, mais une responsabilité partagée. Il préconise donc de consacrer des moyens et de l’attention à la prévention, dans ce domaine aussi.
Sur le plan des faits, la lecture de l’arrêt de la cour d’appel nous laisse quand même pantois. Certes, le collaborateur licencié apporte plusieurs témoignages à l’appui de ses prétentions, mais on subodore que ses problèmes dépressifs avaient vraisemblablement des raisons autres que professionnelles. On peut certainement reprocher à l’employeur son manque de proactivité, et in fine, un manquement à son obligation de sécurité du résultat, consacrée par la jurisprudence. Cela étant, c’est du chef de harcèlement moral que sa condamnation est confirmée par la cour d’appel, rejetant ainsi les arguments de l’employeur faisant valoir un dépit de l’intéressé lié à sa non promotion à un échelon supérieur.
Vincent Gardy