L’AFDCC (Association française des credit managers et conseils) tiendra sa traditionnelle et très attendue Journée Crédit annuelle au Pavillon Dauphine le 26 novembre. Un événement d’autant plus attendu cette fois qu’il coïncidera avec la célébration des 50 ans de l’association. Conquérir en sera partenaire, comme d’habitude.
Nous faisons le point avec Eric Scherer, président de l’AFDCC, sur quelques temps forts de la manifestation, mais nous commençons par un tour d’horizon sur les sujets actuels de préoccupation des credit managers et sur leurs préconisations éventuelles aux entreprises.
Conquérir : L’an dernier, vous sembliez plutôt inquiet quant à la situation des entreprises fragiles, en raison de la crise du Covid, en particulier au début de l’échéance pour certaines du remboursement du PGE initialement prévu au terme d’un an, en tout cas en franchise d’intérêt. Aujourd’hui, on constate un niveau très bas de défaillances d’entreprises. Que s’est-il passé ?
Eric Scherer : Effectivement, pour le moment, cela va plutôt bien de ce point de vue. L’Etat et les organismes publics, ou encore les banques, se sont montrés très cléments. Ainsi, la franchise de remboursement sans intérêt a été allongée. D’autre part, on a constaté de nombreuses annulations de dettes fiscales et sociales. L’Urssaf ou encore le Trésor public n’ont en tout cas pas assigné les débiteurs au Tribunal de commerce, limitant ainsi le nombre de dépôts de bilan.
D’une manière générale, les aides ont été largement prolongées et le sont parfois encore (fonds de solidarité, chômage partiel, coûts fixes pris en charge par l’Etat dans les secteurs soumis à des fermeture administratives…). Les banques ont accordé des moratoires à leurs débiteurs, à travers un report de mensualités jusqu’à six mois. Quant aux bailleurs, après de longues discussions, ils ont accepté de faire un effort, là encore soutenus par l’Etat. Aujourd’hui, ces béquilles ont été retirées, sauf principalement dans le tourisme ou l'événementiel.
Conquérir : Vous craignez une rechute ?
Eric Scherer : Pour le moment, en effet, la trésorerie des PME est plutôt bonne, en partie grâce au PGE. Mais, à partir de mars, pour celles quil’ont souscrit dès mars 2020, il faudra rembourser et dans le même temps reprendre le paiement normal des cotisations fiscales et sociales. Et là, celles qu’on appelle les entreprises zombies risquent de rechuter. Euler Hermès prévoit ainsi une hausse de 40 % des défaillances en 2022 vis-à-vis de 2021.
Fort heureusement, certaines PME ont mis à profit le ballon d'oxygène du PGE pour faire des efforts sur leurs charges, se restructurer… Parallèlement à ces aspects plutôt relatifs à la trésorerie, nous entrons dans une zone de turbulences.
La reprise, qui a pris corps depuis le début 2021, demeure chaotique car elle est altérée par un certain nombre d’événements qui la contrarient : pénurie de matières premières et dans le même temps hausse des coûts, attentes de conteneurs, transports de marchandises introuvables ou coûteux…
Tout cela a un impact, parfois important sur le CA – si l’on ne peut pas honorer ses commandes en temps utile par exemple, et bien sûr sur les marges. La reprise se trouve donc freinée, alors qu'au surplus l'inflation croissante fait que l'on redoute une hausse des taux, alors que le besoin d'investissement, particulièrement en matière énergétique, se fait pressant. Ce contexte est évidemment préoccupant pour la santé des entreprises…
Conquérir : … comment peut-on pallier les difficultés?
Eric Scherer : L’Etat, soit par des dispositions propres, soit au travers de directives européennes, s’efforce de préserver les accidents graves menant à des liquidations.
Deux ordonnances vont dans ce sens. La première est d’origine nationale : la PTSC, une procédure judiciaire temporaire et dérogatoire dite de « traitement de sortie de crise » qui a été mise au point par le législateur pour traiter à la source les maux causés par la pandémie (loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de sortie de crise sanitaire).
Cette procédure se veut novatrice car elle doit permettre l’adoption rapide d’un plan de nature à restructurer l’endettement de l’entreprise et à régler les difficultés occasionnées ou aggravées par la crise sanitaire et économique. Elle vise à trouver une solution de viabilisation des entreprises en difficulté, une viabilisation qui pourrait passer par un remboursement du passif étalé jusqu’à 100 %. Un gros risque à suivre pour les credit managers… Le décret d’application a été publié le 17 octobre. Temporaire et spécifique, la procédure est entrée en vigueur le 18 octobre 2021 et s’appliquera jusqu’au 1er juin 2023.
L’AFDCC a collaboré à la réflexion préalable, à la demande du Parlement et des économistes de Bercy. Le 12 novembre, dans le cadre des journées d’information juridique et financière organisées pour nos adhérents, nous présenterons en détail ces dispositions, et surtout l’impact possible pour les créanciers.
Conquérir : … vous parliez aussi d’une autre ordonnance en préparation…
Eric Scherer : … oui, elle découle cette fois d’une directive européenne, et touche plutôt les grandes entreprises exerçant dans des domaines nécessitant une restructuration rapide (sous-traitance automobile, aéronautique, fonderies…). Des classes de créanciers sont instituées, laissant un avantage substantiel à ceux qui disposent de garanties ou apportent de l'argent. La classe des chirographaires pourrait en souffrir.
Conquérir : Qu'en est-il de l'évolution des délais de paiement dans ce contexte ?
Eric Scherer : Là encore, d’une diminution des retards observés à partir de 2015 environ, puis d'une stabilisation autour de 11 jours de retard de paiement, nous sommes remontés en 2021 à 15 jours, le BTP présentant des retards encore plus importants. Nous redoutons désormais un dérapage. La pression sur les marges que j'ai évoquée tout à l'heure pèse sur le BFR et pourrait entraîner la tentation de laisser filer le crédit fournisseur.
Nous, à l’AFDCC, en collaboration avec d'autres organisations, souhaitons sensibiliser les responsables d'entreprises à l’aspect citoyen de tenir leurs engagements en matière de délais de paiement.
Conquérir : Vous organisez donc la Journée Crédit le 26 novembre. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Eric Scherer : C’est, vous le savez, l'occasion pour nous de fêter nos 50 ans. L'ambiance sera donc assez festive. Pour autant, nous n'oublions pas le caractère studieux de cet événement, qui sera jalonné de plusieurs conférences.
Le matin, ce sera notre conférence économique, où nous bénéficierons de l’expertise de Alexis Karklins-Marchay, intervenant sur Radio Classique et auteur de nombreux ouvrages dont L’économie et le monde de Balzac. Il voyage beaucoup et pourra nous éclairer sur ce qu’il estime être les forces et les faiblesses de notre pays.
Plusieurs médiateurs connus interviendront dans d’autres conférences, dont celles de Bernard Thellier, négociateur du GIGN et de Marc Thiercelin dit « Captain Marck », navigateur et skipper professionnel français. Une table ronde d’ampleur réunira cinq grands acteurs partenaires de l’AFDCC (Altares, Ellisphere, Dimo Gestion, Serrola, Euler Hermès) afin de faire un point sur l’évolution des différents secteurs d’activité. Comme toujours, un espace de rencontre sera consacré à nos partenaires des métiers du credit management, où nos adhérents pourront se familiariser avec les dernières techniques du métier.
Propos recueillis par Alain Gazo