Le développement à l’international nous permet et nous permettra de tirer notre croissance. Trop peu de nos PME-PMI, dont le secteur s’y prête pourtant, s’intéressent à la conquête de marchés dans le reste du monde. Et celles qui le font demeurent prudemment dans l’Union européenne. Or, au-delà des avatars de la période pandémique et post-pandémique, qui changent momentanément la donne, la croissance demeurera plus faible en Europe que dans le reste du monde. A cet égard, on pense souvent à l’Asie et beaucoup moins à l’Afrique. C’est cette perception faussée de ce continent que les autorités françaises veulent changer.
L’équipe de France de l’export, « Team France Export », est à la manœuvre pour booster notre commerce et notre développement en Afrique, agglomérant en particulier les compétences et le savoir-faire de Business France, des CCI, ainsi que de Bpifrance. Nous nous sommes entretenus avec Pedro Novo, directeur exécutif Export de Bpifrance à propos de l’intérêt de l’Afrique en termes de relais de croissance pour nos PME et des actions concrètes menées pour les favoriser.
Conquérir : Pourquoi faut-il s’intéresser à l’Afrique aujourd’hui ?
Pedro Novo : Je dirais effectivement qu’il ne faut pas perdre de temps, car l’Afrique représente une source essentielle pour la croissance du secteur privé - et au niveau national. Les deux ans qui viennent seront cruciaux. La croissance de l’Afrique, vue dans son ensemble, a été très dynamique ces dernières années – 5 % en moyenne – et elle devrait se maintenir ainsi pendant longtemps, tant le continent est vaste et sa démographie puissante. Sa population devrait ainsi doubler d’ici 2050, atteignant alors 2,5 milliards d’habitants. La consommation devrait ainsi mécaniquement progresser et même vraisemblablement davantage, à l’aune de l’émergence des classes moyennes. En conséquence, les besoins d’infrastructures dans des domaines clés, comme l’énergie – en particulier renouvelable – le traitement de l’eau, le transport, mais aussi le tourisme et l’agroalimentaire devraient beaucoup se développer. Et cela offre de véritables opportunités pour nos entreprises françaises et leurs savoir-faire. Bien entendu, tout n’est pas si facile. Je pense à la problématique de l’endettement des Etats, à une qualité de risque difficile à cerner, et à un cadre d’interventions complexes, liées à la présence de multiples guichets, quoique nous ayons bien simplifié la route à cet égard avec la Team France Export.
Conquérir : La diplomatie française est à l’œuvre pour favoriser notre conquête de marchés en Afrique, et aussi permettre aux pays qui le composent de résoudre les difficultés, en particulier celles liées à la crise du Covid. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pedro Novo : Effectivement, 2021 et 2022 vont être jalonnées de rendez-vous importants à cet égard. Ils suivent des événements s’inscrivant dans le même esprit qui ont eu lieu en 2020, comme la manifestation Big où le Président de la République a accueilli le chef de l’Etat du Kenya, C. Kenyatta. L’idée était alors de renforcer nos liens avec ce pays, et au-delà,
l’Afrique de l’Est. En 2021, voici quelques temps forts. Les 18 et 19 mai a eu lieu à Paris le sommet multilatéral relatif au financement du continent africain, à l’issue de la crise du Covid-19. Puis, une importante réunion d’entrepreneurs et de personnalités, tant françaises qu’africaines, était organisée à Abidjan début juin. Deux autres devraient suivre courant 2021, l’une à Nairobi, l’autre à Casablanca. En octobre, cette fois à Montpellier, une convention réunira un millier de patrons de PME-PMI de toutes tailles, pendant laquelle sera évoquée la nouvelle relation entre la France et le continent africain. Enfin, en février 2022, une manifestation de rencontres entre Européens et Africains est prévue.
Conquérir : Voilà un agenda bien chargé. Quel en est le propos ?
Pedro Novo : Il s’agit d’encourager les entrepreneurs français à saisir davantage les opportunités commerciales et de croissance, qu’offre l’Afrique. Tout cela se fait aussi en lien avec l’action politique du Président de la République sur le continent. Pour cela, il nous faut démystifier le risque qui y est associé dans l’esprit de nos dirigeants de PME- PMI. . Ils pensent qu’investir – en temps et en argent – en Afrique peut être trop couteux, voire également trop risqué. Le retour sur investissement vient certainement un peu moins vite qu’ailleurs, mais lorsque le point mort est dépassé, le résultat est particulièrement satisfaisant pour les entreprises qui se lancent. Pour avoir de bonnes chances de réussite, il convient d’abord de se faire à l’idée que l’Afrique a changé ces dernières années. Les Africains souhaitent s’inscrire dans une logique de partenariat, et que chacun des partenaires y trouve son avantage, en termes économiques comme sociaux. Nous conseillons donc à nos clients de s’établir dans leurs pays stratégiques, de faire de leurs entreprises des entreprises africaines, de transférer les compétences par une formation active, de valoriser les managers locaux et, c’est vrai aussi, de ne pas hésiter à surfinancer les projets, en se fixant un objectif de ROI à cinq ans, voire dix ans. C’est le prix du succès, et ceux qui ont réussi vous diront que ça vaut le coup !
Conquérir : Vous avez évoqué l’agenda Afrique au plus haut niveau de l’Etat. Qu’en est-il de celui de Bpifrance ?
Pedro Novo : En déclinaison de l’agenda de l’Etat, nous avons notre propre plan Afrique sur la période 2020-2025, avec des objectifs ambitieux en matière de financement et de garanties export. Nous comptons doubler notre activité à ce titre sur le continent africain pendant cette période, avec un renforcement notable du crédit export, au-delà de 1 milliard d’euros, mais aussi en matière de garanties et d’Assurance-Prospection, que nous gérons depuis 2018, via notre filiale Bpifrance Assurance Export (l’agence française de crédit à l’export en charge de la gestion des garanties publiques à l’exportation au nom, pour le compte et sous le contrôle de l’Etat). Le crédit export, octroyé par les banques françaises et auquel nous apportons la garantie de l’Etat via Bpifrance Assurance Export facilite évidemment les choses, puisqu’il aide le client final africain à se positionner dans l’achat de technologies et de services français. Les taux d’intérêt sont, en effet ceux de la zone euro, plus bas qu’en Afrique tout en offrant des maturités d’amortissement plus longues que ce qui est proposé sur le continent. Dès 1 million d’euros, nos entreprises sont ainsi en mesure de proposer une offre technique financée, ce qui est une attente forte de nos partenaires en Afrique.
D’autre part, nous poursuivons notre stratégie de soutien du capital investissement africain, via notre dispositif commun avec Proparco en fonds de fonds Averroès Africa et comptons déployer ainsi 130 millions d’euros dans les cinq ans à venir. Au-delà de l’importance des sommes en tant que telles, notre présence dans l’opération permet de faciliter les levées de fonds des start-up et PME du continent. C’est ainsi, que depuis le lancement du premier véhicule Averroès en 2003, nous avons permis aux partenaires de lever plus d’un milliard d’euros pour investir sur le continent africain. Pour les 4 prochaines années ce sont ainsi plus de 1,5 Mds € qui en levier seront injectés via les fonds partenaires Notre appui facilitera certainement le développement de nouvelles filières, comme celle du tourisme, très inégalement développé sur le continent.
Conquérir : Développez-vous des actions non directement d’ordre financier pour appuyer la démarche de nos PME et ETI ?
Pedro Novo : Certainement, et la plupart du temps en coopération avec nos partenaires, en particulier de Business France. Nous avons ainsi lancé en février un programme spécifique haut de gamme destiné à 25 PME et ETI françaises, dénommé Accélérateur Afrique. Ainsi, au travers d’un programme d’immersion collectif de 12 mois, nous aidons ces dirigeants à bâtir un business plan, à organiser leur logistique, à préparer la rédaction de leurs contrats.
Parallèlement, nous croyons beaucoup à la mobilisation de la diaspora pour conquérir des marchés dans leurs pays d’origine ou ceux de leurs parents. C’est ce que nous appelons le Pass Africa. Nous avons créé à l’intention de jeunes entrepreneurs, souvent issus de quartiers populaires, des sessions d’entraînement, baptisées Fast Track, qui incluent mentorat, coaching approprié, accélérateurs de financement. Nous nous assurons, avant qu’ils se lancent, qu’ils aient coché toutes les cases, en particulier celle des mécanismes que Bpifrance et l’Etat mettent à leur disposition. Mais nous parlons souvent de l’Afrique dans sa globalité, alors que
l’Afrique, ce sont 54 réalités différentes.
Conquérir : Nous allons en avoir un aperçu avec vos chefs de bureaux à Abidjan et à Nairobi.
Propos recueillis par Alain Gazo
Afrique : 54 réalités différentes
Bpifrance dispose d’un réseau de cinquante agences en France métropolitaine et dans les DOM-TOM, ce qui représente un maillage très significatif, à même de traiter les demandes de PME–PMI ou d’ETI désireuses de se développer à l’international, mais aussi de leur faire remonter des besoins identifiés par les équipes de Bpifrance à l’étranger. Elle dispose à ce jour de neuf agences dans le monde, dont trois en Afrique (Dakar, Abidjan, Nairobi), bientôt quatre avec l’ouverture de Casablanca en fin d’année. Cela souligne encore l’importance que Bpifrance accorde aux opportunités d'affaires sur ce continent. Les chefs de bureau sont au plus près du terrain. C'est pourquoi nous avons souhaité avoir un échange avec deux d'entre eux, Arnaud Floris (Abidjan) et Mourad Chouiqa (Nairobi).
Pour faire simple ils sont en quelque sorte responsables, le premier de l’Afrique occidentale et centrale, le second de l’Afrique de l’Est et australe. Des environnements différents en soi d’un bord à l’autre du continent, mais aussi entre Etats de la même zone. La pandémie a également marqué les économies de manière très inégale. « Les pays à forte dominante d’exportations agricoles ont mieux résisté économiquement que ceux principalement exportateurs de pétrole », note ainsi Arnaud Floris.
Bien entendu, la zone francophone est davantage prisée par nos entrepreneurs que la lusophone ou l’anglophone. La Côte d’Ivoire, qui tend à devenir la base d’installation de nos entreprises en Afrique de l’Ouest, à partir de laquelle elles peuvent rayonner, mais aussi le Sénégal, où nous demeurons n° 1 des exportateurs, sont, à juste titre, particulièrement recherchés.
Cependant, il ne faut pas négliger, souligne Arnaud Floris, des pays plus petits, mais néanmoins dynamiques, où la croissance est forte, au-delà de 5-7 % au long cours, comme le Togo ou le Bénin. Néanmoins, la concurrence internationale y est féroce, celle des Chinois et des Indiens tout spécialement.
Alors, dans la mesure où notre technologie est souvent appréciée, dans le traitement de l’eau, les infrastructures industrielles, le transport, les énergies renouvelables, la logistique… nous pouvons, en challengers, tenter notre chance sur d’autres zones en développement.
En Afrique de l’Est, Mourad Chouiqa recommande le Kenya, où il est installé, un pays avec lequel le président de la République a souhaité développer nos relations, et où l’activité est tonique, dans un environnement politique actuellement stable.
Mais, signale Mourad Chouiqa, d’autres Etats de la sous-région sont également intéressants à suivre, comme la Tanzanie, où la banque publique d’investissement a pu financer la vente d’équipements français dans le secteur de l’agroalimentaire, au travers d’une solution de Crédit Export.
En Afrique australe, Mourad Chouiqa signale la croissance soutenue du Rwanda, qui rend ce pays digne d’attention. Pour ce qui est de l’Afrique lusophone, également surveillée par l’agence Bpifrance de Nairobi, c’est plus compliqué, pour des raisons diverses, aussi bien la Guinée-Bissau que le Mozambique ou l’Angola.
Quant à la partie occidentale, Arnaud Floris évoque l’énorme potentiel que représente le Nigéria, avec ses 300 millions d’habitants où, à lui seul, l’Etat de Lagos représente un poids économique considérable. Cependant, l’environnement des affaires y est très complexe. Il faut du temps, beaucoup de moyens et un objectif très rémunérateur à terme.