On parle beaucoup de la Pologne, mais essentiellement pour dire qu'ils ont un gouvernement dont les pratiques, les méthodes ou la politique, ne conviennent pas aux instances bruxelloises. Nous ne rentrerons pas ici dans ce débat, et nous nous concentrerons sur les aspects bénéfiques de notre relation économique avec cette grande puissance d’Europe orientale.
Depuis la fin du communisme, puis son adhésion à l’Union européenne, la Pologne a connu un essor sans précédent, comparativement supérieur à celui de voisins placés dans la même situation. Tout n’est cependant pas rose, puisque ces trente dernières années se sont traduites par une émigration massive (les fameux plombiers !), particulièrement au Royaume-Uni. Conjuguée à une baisse de la natalité, cette perte de substance humaine a conduit à faire appel à de la main-d’œuvre ukrainienne – le jeu des vases communicants. Malgré tout, avec 38 millions d’habitants, la Pologne représente un potentiel intéressant pour investisseurs ou exportateurs. Les chiffres des IDE, émanant maintenant du GUS (institut statistique polonais) le confirment. En 2018, 1 195 entreprises étaient contrôlées, au moins en partie, par des entités françaises, dont 70 % majoritairement, pour un total d’actifs estimés à 5,9 milliards d’euros (12,8 % des actifs étrangers). Dès lors, nous nous étions – en stock, le troisième investisseur étranger, loin cependant derrière les Pays-Bas (23,2 %) et l’Allemagne (16,6 %). Cependant attention, pour des raisons fiscales, les Pays-Bas mais aussi le Luxembourg et Chypre tendent à être surreprésentés. Nous sommes très présents dans les télécoms (Orange Polska), la distribution (Auchan, Carrefour), puis l’énergie.
Une forte présence française
Nous générions, en 2017 cette fois, 34,3 milliards d’euros de CA cumulés, derrière l’Allemagne et les Etats-Unis. Plus de 200 000 personnes seraient employées sur place par nos entreprises, en particulier du fait d’Auchan (20 000), de Carrefour (16 000) ou encore d’Orange (15 000). Nous sommes également très bien implantés dans le secteur bancaire, troisième européen derrière l'Espagne et l'Allemagne.
La direction du Trésor évalue donc favorablement notre position dans ce pays d'Europe orientale, le situant dans le cadre « du positionnement stratégique du marché polonais au sein de la chaîne de production européenne […] [et du] fort potentiel du marché intérieur ». Cependant, elle pointe « des restrictions ponctuelles » quant à la liberté d’investissements extérieurs dans quelques secteurs d’activité (banques précisément, mais aussi médias ou transport aérien), et un processus de « repolonisation de l’économie » qui ne va pas dans le sens du développement des IDE. Pourtant l’agence Invest in Poland évoque de nombreux projets où des IDE seraient les bienvenues. L’Allemagne est, logiquement, le plus gros investisseur de capitaux en Pologne (21 % du total des IDE), en très forte progression après l’adhésion à l’UE. L’effort financier germanique a porté principalement dans le secteur automobile, mais aussi l’externalisation des processus d’affaires (dans l’informatique en particulier). Les Américains sont également très actifs, dans une nettement moindre mesure toutefois (11 % du total). Les géants sont là, à commencer par Amazon, Philip Morris, Procter & Gamble ou encore International Paper.
La France ne vient donc pas loin derrière avec 10 %. On l’a dit, la grande distribution y est très active (Auchan, Carrefour, mais aussi Leroy Merlin), de même que les constructeurs du secteur de l’automobile (PSA, Valeo, Michelin). Et il ne faut pas oublier les nombreuses PME installées via des filiales ou des participations, plus de 1 000 en tout.
Selon une enquête datant de 2018, menée par l’agence polonaise d’investissement et de commerce extérieur, Grant Thorthon et HSBC, le climat d’investissement en Pologne est perçu favorablement par la plupart des pays, mais d’abord le Royaume-Uni, suivi de la Chine. Les Suédois et les Néerlandais seraient plus réservés de ce point de vue. Ces réticences sont peut-être dues à la survenue de difficultés liées à une réglementation parfois trop changeante, à un système juridique jugé peu efficace, ainsi qu’à une fiscalité compliquée. En revanche, la qualité des sous-traitants et des fournisseurs, à travers une main-d’œuvre efficace, est appréciée par les investisseurs étrangers, toujours au vu des résultats de l’étude précitée.
Solde extérieur France-Pologne : un déficit régulier
Certes, nous ne pouvons que nous réjouir de la pente positive de nos échanges commerciaux avec la Pologne – encore + 5,5 % en 2019. Nous sommes le quatrième partenaire commercial de la Pologne, après une croissance très forte.
Cependant, notre solde est déficitaire. Ainsi, en 2019 toujours, nos exportations faisaient de nous le sixième fournisseur de Varsovie, étaient en hausse limitée de 2,8 % à 101 milliards d’euros (nous étions en sixième position, avec 3,6 %, derrière l’Italie, 5 %), alors que nos importations s’avéraient en augmentation beaucoup plus dynamique, de 8,1 % à 11,76 milliards d’euros (5,9 % des exportations polonaises).
Afin de nous fournir des chiffres plus actualisés, la direction générale du Trésor nous propose une analyse sur la période de juin 2019 à mai 2020. Nous avons exporté principalement des automobiles (10,9 % de nos exportations totales), toujours l’effet de l’intégration des fabrications, puis des machines et équipements d’usage général (7,4 %), des produits pharmaceutiques (6,3 %), et des produits chimiques divers (6,2 %). Ce qui est le plus remarqué, en termes de de variation, c'est la hausse sensible des ventes de produits pharmaceutiques (+28,5 %) alors que celles d'automobiles se tassaient nettement (-18,7 %).
Dans l'autre sens, nous avons acheté, sur la même période et dans l'ordre, du matériel électrique (8,6 %), des automobiles (6,9 %) des équipements automobiles (6,6 %), des meubles (5,7 %). Au chapitre des variations, on notera l’explosion des achats de tabac manufacturé (+ 52,1 %), de matériel électrique (38,2 %), tandis que ceux d’automobiles se tassaient nettement (-13,1 %).
Pologne-reste du monde : un excédent record
En 2020, la Pologne a décuplé son surplus commercial (12 milliards d’euros). En effet, tandis que les exportations ne reculaient que modestement, de 0,3 % à 227, 5 milliards d’euros, les importations fléchissaient bien davantage, de 4,8 %.
La dépréciation de 7 % de la monnaie, le zloty – voilà un outil utile que nous n’avons plus, a soutenu les exportations et, à l’inverse, freiné les achats à l’extérieur. La Banque centrale polonaise a été à la manœuvre dans ce but.
Concernant les importations, qui nous intéressent davantage, elles sont d’abord constituées par les machines et équipements de transports (35,8 %), les produits manufacturés (16,7 %) et chimiques (14,7 %).
74 % des exportations et 55 % des importations étaient réalisées avec des Etats membres de l’UE en 2020, et 6 % - une part en recul, du commerce en moyenne avec des pays d’Europe centrale et orientale.
Du côté des fournisseurs, on note la très forte présence – logique – de l’Allemagne (22 %), devant la Chine (14,6 %). Les ventes s’orientent fortement vers l’Allemagne (29 %), puis la République tchèque (5,8 %), juste devant le Royaume-Uni (5,7 %) et donc la France (5,6 %).
Nos spécialistes de la direction générale du Trésor notent cependant une baisse de la part de l’Allemagne, de l’Italie et de la France depuis une vingtaine d’années. Ils attribuent ce phénomène à la montée en gamme des produits polonais (moins de biens intermédiaires), ainsi qu’à une intégration croissante des économies du groupe de Visegrad – cela rappelle un peu le Comecon !
Des notes conjoncturelles contrastées
Coface publiait récemment une note conjoncturelle relativement contrastée à propos de la Pologne. Elle relevait de nombreux points forts, à commencer par des prix compétitifs, une main-d’œuvre qualifiée et peu chère, son intégration dans la chaîne de production allemande, et bien sûr un marché d’une taille significative. De plus, l’économie est diversifiée et le secteur financier est qualifié de « résilient ».
A l’inverse, les experts de Coface notent quelques points qu’ils jugent négatifs : faiblesse de la R & D, contraste de développement entre l’ouest et l’est du pays et le niveau d’investissement – local – insuffisant. La part de chômage structurel est également trop élevée.
Cela dit, si l’on compare les indicateurs économiques de la Pologne à ceux d’autres pays de l’UE de tailles relativement comparables, nos voisins de l’extrême Est de l’Union n’ont pas à rougir de leurs performances. Le ratio dette publique/PIB est estimé à 57 % en 2021 (118 % en France), le solde public à -4 % (-9 % chez nous) et la croissance à +4 %, après seulement -3 ,4 % en 2020 (-8,3 % dans l’Hexagone). Les différents plans d’investissement appuyés par l’UE devraient soutenir la croissance polonaise, sauf si on coupe le robinet pour des raisons purement politiques – ce qui est très peu probable.
Négométal-C2A : une PME française en Pologne
De nombreuses PME françaises sont donc implantées en Pologne. Négométal a été un des pionniers. « Nous étions parmi les pionniers en Pologne, quelques années après son entrée dans l'Union européenne, car ce pays n'apparaissait pas encore suffisamment attractif pour beaucoup, se souvient Gilles d’Huiteau, son gérant. Spécialisés dans les services du monde du transport, poursuit-il, nous avons installé une filiale en Pologne, afin de mettre à profit l’extraordinaire embellie de ce secteur là-bas depuis quinze ans. Songez, s’exclame-t-il, qu'un de nos clients est passé d'un seul camion à une flotte de 100 pendant cette période ! »
Sur le plan des relations humaines, Gilles d’Huiteau évoque « une longue période avant que nos interlocuteurs nous fassent confiance, une exigence quant à la qualité du service rendu, qui doit être irréprochable, ainsi qu’une attention toute particulière au prix ». Cependant, en dépit de ce qui se dit souvent, il ressent les Polonais comme pro-européens, regardant ce qui se passe à l’Ouest.
Alors, quel métier Négométal exerce-t-il, en Pologne, et en France bien sûr ? Il s'agit de la location d'appareils de télépéage aux transporteurs. Négométal, qui compte soixante-dix collaborateurs en tout, dispose d’une équipe sur place de huit personnes. Gilles d’Huiteau dévoile son projet : « Cette implantation était indispensable pour deux grandes raisons, d’une part la nécessité d’avoir localement une cellule parlant polonais, alors que nos interlocuteurs chez nos 500 clients sur place ne maîtrisent pas le français, ni l’anglais, une cellule à même également d’être en contact avec les autorités fiscales du pays ».
« D’autre part, nous proposons une location sans garantie de paiement des télépéages, alors que nos confrères implantés hors de Pologne exigent une garantie portant sur deux mois, deux mois et demi de péages et se reportent sur un assureur-crédit qui ne va pas suivre, en règle générale, en raison de l’absence de publication des comptes des sociétés en Pologne. » Les clients de Négométal alimentent un compte à concurrence de la somme habituellement réglée par quinzaine, sur lequel leurs dépenses seront prélevées. Un algorithme fait évoluer le montant du dépôt en fonction des débours réellement effectués. Négométal présente une facture globale au client qui lui permettra de récupérer la TVA et de bénéficier de remises sur le prix des péages.
La société sœur de Négométal, C2A, propose également en Pologne les services de sa carte éponyme, destinée principalement aux transporteurs routiers mais aussi aux gestionnaires de flottes automobiles. C2A est une carte de débit Mastercard, « seule
à proposer en Europe le règlement de dépenses prépayées, dans les stations-service de nombreux réseaux avec, grâce à ses partenariats, la possibilité d'obtenir des remises,
ainsi qu’une facturation centralisée, permettant la récupération de la TVA et des droits d’accises ». Le réseau est significatif en France (Leclerc, Esso, ENI…), au Luxembourg, en Autriche, en Belgique et bientôt en Italie. Bien entendu, C2A, carte Mastercard, ouvre l’accès au réseau mondial de 9’acceptation de la carte.