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Défaillances d’entreprises : attention à 2021

L'Etat français va investir 100 milliards d'euros sur trois ans grâce à des fonds provenant en partie du pot commun mis en place par l'Union européenne. On peut se demander comment nous serons en mesure collectivement de faire face à l’apurement futur de la dette. Cependant, les dirigeants d’entreprises ont des préoccupations davantage pragmatiques : augmenter leurs ventes, à tout le moins par les temps qui courent, éviter qu’elles ne chutent, et aussi, bien entendu recouvrer leurs créances dans les délais. A ce moment crucial, nous avons souhaité nous entretenir avec Eric Scherer, président de l’AFDCC (Association des credit managers et conseils), et qui exerce les fonctions de credit manager chez Hachette.

Conquérir : Dans votre métier, vous êtes très attentif aux dépôts de bilan et surtout à leurs signes précurseurs. Comment expliquez-vous les bons chiffres des défaillances d’entreprises pendant les six premiers mois de 2020 ?

Eric Scherer : Tout d’abord, une évolution défavorable du CA ne se traduit pas instantanément par une défaillance. D’autre part, l’Etat et les organismes sous sa tutelle ont pris des mesures d’urgence dès mars dernier, afin de permettre au maximum d’entreprises de passer le cap difficile du confinement, puis de ses séquelles, auxquelles nous sommes toujours confrontés. Vous connaissez ces mesures : report du paiement des charges sociales, chômage partiel largement facilité… et aussi, ce dont on parle peut-être moins, les PGE (Prêts bancaires garantis par l’Etat). Ils ont été attribués d’une manière très large au printemps dernier à ceux qui en faisaient la demande. Les conditions de ces prêts sont particulièrement favorables, avec une clause de sortie sans frais au bout d’un an, période pendant laquelle seuls les intérêts, au taux réduit de 0,25 %, sont dus. Les bénéficiaires pourront opter au terme de ces douze mois pour un remboursement complet du capital ou pour une prolongation d’une durée de cinq ans, à un taux cette fois plus élevé, de 3 % environ, et avec des conditions d’amortissement plus classiques.

Tout cela veut dire que beaucoup d’entreprises, dont de nombreuses PME–PMI, ont ainsi reçu un bol d’air, qui leur a permis de résister aux chocs pour certaines d’entre elles, lors des mois d’arrêt d’activité. Et d’éviter de la sorte des licenciements, voire un dépôt de bilan.

Mais après ? Le report du règlement des charges sociales ne sera pas éternel et la question du remboursement du PGE à échéance d’un an, ou de sa prolongation au-delà à des conditions moins favorables, va se poser d’ici quelques mois…

Conquérir : … et il faut donc être attentif à la solidité de son compte-clients !

Eric Scherer : Tout à fait, c’est pourquoi j’affirme que 2020 est par essence l’année des credit managers, car le cash devient une priorité absolue. Chaque semaine, chez Hachette, nous effectuons une revue de cash approfondie, basée sur de nombreux indicateurs émanant de tableaux de bord, dont certains mis en place récemment, afin d’être encore plus précis dans nos prévisions, et donc dans les limites d’engagement que nous défendons auprès de notre direction financière.

Pour faire face à cette exigence de cash, plusieurs outils, bancaires ou non bancaires, nous facilitent la tâche, des outils souvent fondés sur la dématérialisation des process. Par exemple, les virements dits « Instant payement » permettent d’être crédités instantanément ou presque comme leur nom l’indique. Nous pouvons dans la foulée lettrer les comptes en l’espace de 24 heures. Cela constitue une innovation essentielle de ces deux-trois dernières années. Les solutions de reverse factoring sont également utilisées d’une manière plus large, en permettant d’engranger des ressources pour investir, se développer…

Le risque de crédit est toujours là, bien sûr. Les entreprises ont la possibilité de passer par un assureur-crédit. Ou bien de créer leur propre système de garantie en interne, ce que nous faisons chez Hachette par exemple. Les normes IFRS9 nous permettent, en effet, de constituer des provisions spécifiques pour loger les mauvais risques. On peut toutefois souscrire une police dite « in excess », afin de garantir les risques au-delà d’une certaine limite. Dans tous les cas, il est opportun d’utiliser des scorings, soit ceux des sociétés d’information du marché, ou ceux que l’on peut bâtir soi-même, en fonction de son expérience propre, ou d’éléments comptables en notre possession.

Les scorings établis par les assureurs-crédit ne donnent pas accès aux comptes des sociétés, lorsqu'ils ont été déposés avec une clause de confidentialité. Et dans tous les cas, je conseille d'être intransigeant sur les clauses contractuelles de paiement, afin d'éviter les dérives, surtout dans un contexte où de nombreuses entreprises ont bénéficié directement ou indirectement de cash au travers des dispositifs que j’ai évoqués précédemment.

Conquérir : L’année des credit-managers, l’année de l’AFDCC également ?

Eric Scherer : Notre association se porte bien effectivement en menant de plus en plus souvent des actions avec les professions connexes : ADV, comptables, acheteurs… 2020 est l'année des 50 ans de notre association. Nous devions les fêter en novembre prochain mais, compte tenu de l’ampleur que nous voulions donner à l’événement, nous l’avons repoussé à 2021.

La Journées crédit fait partie des quatre grandes manifestations qui rythment nos années « normales », les autres étant notre Journée d'information juridique, économique et financière, dédiée aux credit-managers en début d'année civile ; la Journée de l'innovation et les Assises des délais de paiement, organisées en partenariat avec la Figec. Des événements en province complètent ces manifestations nationales. Ce programme a été chamboulé à partir de mars dernier. Nous avons remplacé certaines réunions par des webinars destinées à l’information de nos adhérents, et qui ont connu un vif succès.

Notre pôle formation s’est également réorganisé, afin de ne pas arrêter ses prestations, délivrées tant pour nos adhérents que pour des publics externes.

Nous avons ainsi développé de nombreux cours en e-learning. Même après la crise que nous traversons, cette pratique devrait persister en la combinant toutefois avec des formations en présentiel qu’il me semble essentiel de maintenir.

Je voudrais rappeler d’autre part que l’AFDCC a souhaité depuis plusieurs années donner une vision professionnelle de notre métier à travers une formation adéquate – que nous dispensons et avons pensée, à une reconnaissance par l’Etat d’un cursus complet de bac à bac +5, qui est désormais accessible aux intéressés.

Propos recueillis par Alain Gazo