Le poste-clients est un actif essentiel d’une société. Sa surveillance et sa préservation sont des enjeux essentiels et intemporels. En revanche, les risques évoluent en même temps que notre société. La technologie permet de mieux cerner les risques, mais aussi à des personnes mal intentionnées de réaliser des escroqueries, à travers des fraudes parfois très sophistiquées. Nous avons souhaité faire le point sur ces questions avec cinq spécialistes.
D’emblée, Alain Gazo oriente la discussion sur les deux clignotants majeurs, l’évolution du nombre de défaillances d’une part, celle des délais de paiement d’autre part. La défaillance d’un client, dans certains cas d’un fournisseur, peut mettre en grande difficulté une entreprise. De même, une augmentation exagérée des délais de règlement des clients est susceptible de l’amener à un dépôt de bilan faute de trésorerie.
Qu’en est-il tout d’abord des défaillances aujourd’hui ? Franck Lemoine observe « un retour à la normale post-covid » où les pouvoirs publics - à travers le PGE, les reports de dettes fiscales et sociales - avaient contribué à fortement freiner les dépôts de bilan. Cependant, le niveau des défaillances est relativement davantage en hausse dans les ETI et les PME, retrouvant celui de 2010 dans ce cas selon Ghislain Verstraete, qui relève aussi « un stock de conciliations élevé propice à une nouvelle hausse des défauts dans un proche avenir ». Nicolas Flouriou prévoit 55 000 défaillances sur l’ensemble de l’année, soit un niveau à peu près équivalent à celui de 2019 et globalement inférieur à celui de la période de la crise des subprimes. 90-92 % d’entre elles concernent les sociétés de zéro à un salarié, donc sans impact social majeur. « Cela étant, rebondit Thomas Bonte, davantage de grosses sociétés sont effectivement concernées, ce qui a précisément des conséquences dommageables ». « Peu de secteurs échappent à la tendance, poursuit-il, et surtout 82 % des défauts aboutissent à des liquidations ».
« Le PGE a créé des entreprises zombies pendant trois-quatre ans, par exemple dans le retail ou l’habillement », constate Nicolas Flouriou, tandis que Ghislain Verstraete remarque en outre un niveau de radiations à la hausse.
Franck Lemoine évoque « le déni des dirigeants », qui attendent trop avant de prendre les mesures qui s’imposent. Un avis partagé par l’ensemble des participants, même s’il tempère en valorisant le fait que l’immense majorité des dirigeants s’en sortent « en se battant et en innovant ».
Venons-en maintenant aux délais de paiement : où en est-on ? La loi LME avait tenté d’y mettre bon ordre. Est-elle respectée ? Dans un premier temps, elle avait favorisé une nette régression des problèmes apparents. Nicolas Flouriou rapporte un retard de paiement de « douze jours en moyenne, quinze dans les grandes entreprises, en légère hausse par rapport à 2019 ». Il observe - c’est logique - que « les fournisseurs stratégiques sont mieux traités tandis que ceux au bout de la chaîne de sous-traitance le sont bien moins ». Le président de l’AFDCC alerte aussi sur « la désinvolture » de certains grands groupes, où « des dysfonctionnements comptables » existent, en dépit de l’absence de problèmes de trésorerie chez eux.
Comment lutter contre ce fléau ? Ghislain Verstraete évoque le « name and shame » pratiqué par la DGCCRF, accompagné d’amendes, « néanmoins d’un montant insuffisant et donc non dissuasives ». Quoi qu’il en soit, le délai moyen de paiement, hors secteur public et agroalimentaire, est de 45 jours selon Nicolas Flouriou, plutôt 65 pour certains dossiers d’affacturage selon Ghislain Verstraete. « Et les grandes entreprises paient plus mal », ajoute Franck Lemoine.
Quant au secteur public - revenons-y, la situation ne se serait que peu améliorée, indique François Piéchaud, « au point que certaines entreprises ne veulent plus travailler avec le public », complète Franck Lemoine. « Les délais de règlement des collectivités locales et encore davantage ceux des hôpitaux publics sont très lents », approuve Nicolas Flouriou.