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Poste-clients : l’IA et la facturation électronique changent-elles complètement la donne ?

Gérer son poste client dans les meilleures conditions demeure une nécessité intemporelle. Cependant, les moyens de le faire et de se préserver au mieux des impayés, sans nuire au développement de l’activité commerciale, évoluent rapidement. L’IA est-elle la panacée ? Que va changer l’irruption de la facturation électronique obligatoire ?
Nous avons abordé ces questions et quelques autres à l’occasion de notre table ronde annuelle sur le sujet, animée par notre directeur de la rédaction, Alain Gazo.

Autour d’Alain Gazo, directeur de la rédaction de notre magazine, de g. à d.

  • Emmanuel Millard, secrétaire général d’Endrix, un des leaders de l’expertise financière.
  • Valérie Collot, directrice trade finance et credit management, Safran Electronics & Defense.
  • Hubert Hays-Narbonne, directeur administratif et financier de Paragon Western Europe.
  • Nicolas Flouriou, président de l’AFDCC.
  • Franck Lemoine, directeur commercial et marketing, Pouey International.

Prévention du risque clients et IA

Les délais de règlement - et pas seulement l’irrécouvrabilité des créances, peuvent avoir un impact direct sur les défaillances et dans tous les cas pèsent inutilement sur la trésorerie des entreprises. A cet égard, Nicolas Flouriou constate une détérioration des délais de paiement, après une amélioration jusqu’en 2023. L’AFDCC est très attentive à ces évolutions. Il note que « depuis un ou deux ans, la situation se détériore », avec actuellement environ 14/15 jours de retard de paiement en moyenne contre 12 en 2023/2024, et « seulement » 11 en 2019. Les grandes entreprises obtiennent même la palme avec 17 jours ! « Pourquoi cette évolution dans les grands comptes ? », questionne Alain Gazo. Nicolas Flouriou pointe trois raisons : certes il y a toujours des mauvais payeurs, mais il pense plutôt à des process plus sécurisés et plus rigoureux chez les clients, ou tout simplement à un laisser-aller lorsqu’on atteint parfois sept niveaux de validation pour débloquer un paiement. Tout cela nécessite de la surveillance car souvent, l’augmentation des délais de paiement est mauvais signe.

« Dans quelle mesure l’IA nous aidera-t-elle ? », demande Alain Gazo. Les réponses, on va le voir, sont plutôt variées et plus ou moins dithyrambiques. « Nous avons toujours, dans nos métiers, en particulier celui de credit manager, une très grande propension à l’innovation, remarque d’emblée Nicolas Flouriou, qui ajoute : « l’IA, dont les fondements scientifiques existent depuis plus de 50 ans selon moi, va en quelque sorte ajouter une nouvelle pièce à l’édifice qui existe déjà et permettra des analyses de solvabilité plus rapides en facilitant les contrôles ». A l’avenir, il estime que 95 % des décisions seront automatisées.

Valérie Collot est un peu plus nuancée sur le propos. Elle reconnaît que l’IA va aider à l’automatisation du processus d’analyse du risque, mais estime qu’il faudra toujours « un chef d’orchestre ». Et du reste, souligne-t-elle, l’analyse du risque client doit être doublée à l’international par celle du risque pays. Il convient, ajoute-t-elle, d’accompagner les forces commerciales au moment de la prospection et d’envisager des moyens de paiement sécurisé idoines, toujours pour l’international.

Hubert Hays-Narbonne est davantage allant sur l’impact et l’intérêt de l’IA dans ce métier de la surveillance et de la gestion du compte-clients à l’avenir. « Elle va le révolutionner », lance-t-il même. Mais attention, une fois « le verdict de l’IA passé, cela ne remplacera jamais le dialogue avec un client potentiel car, au demeurant, on ne peut pas tout voir dans un bilan. L’intervention humaine reste nécessaire », relativise-t-il encore, car « la relation client s’analyse sur le long terme », rebondit Nicolas Flouriou.

Franck Lemoine partage globalement ces sentiments. Il convient de que ce qu’il préfère appeler « l’Intelligence augmentée » décuple les capacités d’analyse. Cependant, les résultats obtenus reposent sur des sources officielles ou des données parfois anciennes. A cet égard, les enquêtes directes de Pouey à l’instant T permettent d’intégrer des données pertinentes et plus récentes. Il ne faut surtout pas non plus négliger le dialogue avec l’entreprise analysée afin de connaître les raisons d’une faiblesse, car l’idée dans un premier temps est de prolonger la relation d’affaires.

Qu’en est-il des fraudes, apparemment de plus en plus fréquentes ? Franck Lemoine reconnaît que l’IA a clairement de l’intérêt pour détecter les fraudes (usurpation d’identité, faux bilan, IBAN détourné, repérage de phénomènes anormaux comme la publication d’un coup de trois bilans annuels, faux bilans captés…). Une entreprise s’est ainsi fait escroquer par un faux acheteur d’une société renommée. On parle du B2B, mais il en est de même dans le B2C. Hubert Hays–Narbonne évoque ainsi le cas d’une mutuelle connue que l’IA aide considérablement à détecter de faux PDF de factures fournis à l’appui de demandes de remboursement. Bailleurs sociaux et sociétés d’intérim sont également confrontés, nous dit-on, à de multiples faux documents. Une analyse davantage automatisée et en nombre devrait aider à limiter l’impact de ces fraudes. Alain Gazo remarque que l’IA peut aussi favoriser les fraudeurs mais nos intervenants pensent garder un temps d’avance sur eux. Espérons-le !

Facturation électronique : le grand chantier de 2026

La « facturation électronique », en réalité l’obligation de transmission des factures à travers un portail de l’Etat, nommé PPF, accompagné d’un e-reporting correspondant pour la TVA, nous arrive en 2026. Qu’en est-il du point de vue du calendrier ? Emmanuel Millard rappelle les principales échéances, à savoir transmission et réception obligatoire des factures pour les grands entreprises et ETI dès le 01/09/2026, pour les autres uniquement la réception à cette date, et le 01/09/2027 pour la totalité.

Au départ du projet, les petites structures à faibles volumes étaient censées pouvoir rentrer directement leurs factures par le portail de l’Etat, donc gratuitement. In fine, tous devront passer par une PA (Plateforme Agréée) immatriculée auprès de l’Etat. Evidemment, cela ne sera pas gratuit, 111 Plateformes sont actuellement sur la ligne de départ. Les homologations ultimes ne sont pas encore établies. Beaucoup de Plateformes, mais aussi beaucoup de factures - 2,5 milliards de factures par an en France selon Nicolas Flouriou. Car il faut inclure tout ce qui est facturé en B2B, y compris les notes de restaurant. Ce qui implique que les Plateformes Agréées puissent être connectées avec les logiciels « métier ».

Au demeurant, il conviendra de redessiner les processus comptables internes, avertit en substance Hubert Hays-Narbonne. Le groupe Paragon comporte une Business Line dont le métier est de moderniser la gestion des processus métiers de ses clients en digitalisant leurs flux documentaires. « Cette Business Line a développé une Plateforme Agréée qui transforme la contrainte réglementaire en opportunité d’innovation, apportant à ses clients de nouveaux leviers de performance » précise encore Hubert Hays-Narbonne.

« Concrètement, où en est-on aujourd’hui ? », questionne Alain Gazo. Franck Lemoine évoque encore « un manque de maturité à ce sujet », alors que Hubert Hays-Narbonne estime que « l’intérêt remonte. Et c’est important, ajoute-t-il, car il faut éviter un effet big-bang », ajoute-t-il. C’est que la Plateforme PPF rejettera tous les statuts incorrects. Alors évidemment, cela présente l’intérêt de ne pas se retrouver des mois plus tard avec une facture impayée. Mais la PA doit se préparer à gérer des rejets, forcément plus nombreux au début. Et puis,d’autres changements sont intervenus, rappelle Nicolas Flouriou. Les factures pro-forma ont ainsi disparu au profit des factures d’acomptes et de compléments.

« Tout cela pour quoi ? », s’interroge Alain Gazo. Pour récupérer davantage de TVA et limiter les fraudes, répondent de concert les intervenants.

Comment cela s’est-il passé là où ces dispositifs sont déjà en place dans l’UE ? Plutôt bien en Italie, selon Emmanuel Millard, « mais les ambitions du projet étaient plus limitées ». « Cependant, rebondit Franck Lemoine, cela n’a eu là-bas aucun impact majeur sur les délais de paiement ».