Relations sociales

Période de protection : des contraintes très précises

Le législateur, et avec lui la jurisprudence, sont très soucieux du respect complet de la période de protection des salariés, quel qu’en soit le motif. Un arrêt du 29 novembre dernier nous le remémore.

En l’occurrence, un employeur avait cru pouvoir entamer une procédure de licenciement pendant la période de protection du salarié concerné - pour accélérer le mouvement on suppose. Manifestement, il prit ensuite, dans le respect des règles classiques, la décision de licencier son collaborateur. Lequel l’assigne aux Prud’hommes. Or, l’employeur avait trop anticipé. Il avait convoqué son salarié à l’entretien pendant la période de protection. Le défendeur argua que cet entretien eut lieu à son issue. Mais les hauts magistrats ne voient pas les choses de cette façon. Au visa de l’article L. 1225-4 du code du Travail, dans sa rédaction issue de la loi du 08/08/2016, ils estiment « que l’employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant la période de protection », le fait que l’entretien eut lieu après « importe peu ». L’arrêt d’appel est donc cassé.

Vincent Gardy

Discrimination indirecte : la preuve par les statistiques

La Semaine sociale Lamy du 29 mai dernier publiait un compte rendu pertinent de la récente intervention de Jean- Guy Huglo, doyen de la Chambre sociale de la Cour de Cassation. Il s’agissait pour le doyen de commenter les jurisprudences récentes relevant des libertés fondamentales et du principe de non-discrimination. Parmi les arrêts passés en revue, figure celui du 14/12/2022 de la Cour de Cassation relatif à la production par un salarié « d’origine immigrée » de statistiques censées prouver une discrimination indirecte de cette catégorie de collaborateurs dans le déroulement de leur carrière, en fonction de leur patronyme.

Il semblait indéniable que le pourcentage de personnes a priori « d’origine immigrée » accédant en l’occurrence à un CDI après une période d’intérim, était deux fois moindre que celui des autres.

Certes, c’est un indice, mais qu’est-ce que cela prouve vraiment ? Les juges du fond en étaient conscients, et après avoir examiné les faits, ont estimé que « l’employeur ne démontrait pas l’existence d’éléments objectifs justifiant l’existence de cette discrimination ».

La Cour de Cassation a rejeté le recours de l’employeur considérant que « ces éléments statistiques laissaient supposer une discrimination ». Le doyen Huglo y voit une nouvelle affirmation de la notion de discrimination systémique. La CJUE est assez prudente en la matière, écartant régulièrement l’apport de statistiques qui sont susceptibles de correspondre à un événement fortuit.

Il convient donc de vérifier s’il existe un lien significatif entre les origines d’un salarié et, en l’occurrence ici, la décision de recrutement en CDI. Les statistiques fournies ne sont que le premier élément de preuve que l’employeur peut combattre à l’aide d’éléments objectifs.

Vincent Gardy

Licenciement d’un salarié protégé : l’autorisation administrative fait foi

Les juridictions d’ordres judiciaires distincts ne s’entendent pas forcément toujours très bien. La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 janvier dernier, vient d’effectuer un certain nombre de rappels importants en matière due licenciement de salarié protégé, exerçant ou ayant exercé un mandat - sous certaines conditions de délai, ou bien ayant été candidat à des élections professionnelles. Jusque-là tout est clair.

On sait que, quel que soit le motif du licenciement d’un salarié protégé, l’employeur doit demander son accord à l’administration, qui va vérifier s’il n’y a pas atteinte à cette protection par un motif détourné. Dans les faits qui nous occupent ici, l’employeur a précisément obtenu l’accord de l’administration pour un licenciement, en l’occurrence à caractère économique.

Tout va bien pour lui ? Que nenni ! Le juge judiciaire fait fi de l’autorisation administrative et annule le licenciement économique du salarié, sur le fondement d’une discrimination syndicale qu’il aurait subie. Les hauts magistrats ont une vue totalement différente de la situation. Au visa du principe de la séparation des pouvoirs, de la loi du 16 au 24 août 1790, et du décret du 16 fructidor an III, elle casse l’arrêt de la cour d’appel, dès lors qu’elle avait pris connaissance de l’autorisation administrative de licenciement préalable au licenciement. La cour d’appel a violé le principe de séparation des pouvoirs et les textes susvisés.

Vincent Gardy

Barème Macron : la Chambre haute enfonce le clou

Que les juges du fond se le disent ! Les hauts magistrats de la Chambre sociale veulent que le « Barème Macron » soit appliqué. Un arrêt récent, du 1er février dernier, le confirme. On sait que la tradition est d’indemniser complètement un préjudice une fois qu’il a été établi, d’où les réticences les juges du fond. En l’occurrence, une salariée dont le licenciement avait été jugé sans cause réelle et sérieuse, avait fait valoir un certain nombre d’arguments personnels pour réclamer à son employeur davantage que ce que prévoit le Barème Macron. Les juges du fond la suivent dans son raisonnement et lui octroient la bagatelle de l’équivalent de onze mois de salaire. La Chambre haute fonde son analyse sur la lecture de l’article L.1235-3 du Code du travail : elle remarque que la liberté d’action du juge est encadrée et qu’il doit jauger l’indemnité attribuable à la salariée dans l’intervalle de trois à six mois de salaire pour ce qui la concerne, alors qu’elle justifiait d’une ancienneté d’un moins de six ans.

Dès lors, c’est clair, l’arrêt de la cour d’appel, « qui a violé le texte susvisé », est cassé.

Vincent Gardy

Usage de la langue française au travail : la Cour de Cassation se rebiffe

La langue française est celle de notre nation. Son usage est battu en brèche depuis maintenant de nombreuses années, en particulier dans les médias ou les entreprises transnationales.

La loi du 04/08/1994 dite loi Toubon, instaurait un certain nombre de contraintes, en particulier aux publicitaires, afin de préserver notre langue. Une des dispositions (article 1321-6 du Code du Travail) relevait que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail », doit être rédigée en français. Cependant, l’alinéa 2 du même article introduisait une exception concernant la réception de documents de l’étranger ou destinés à des étrangers. Tout cela est quelque peu ambigu, mais il était clair que la règle était l’usage du français. A cet égard, la Cour de Cassation avait fait preuve d’une lecture disons bienveillante, de l’article 1321-6, par le célèbre arrêt Air France du 12 juin 2012. Les hauts magistrats avaient fait une interprétation étendue de l’exception de l’alinéa 2. Ils avaient accepté la validité de manuels aéronautiques rédigés en anglais ne provenant pas de l’étranger et destinés à des collaborateurs dont la plupart étaient français. Dans leur raisonnement, ils relevaient le caractère international du transport aérien qui amenait, selon eux, les collaborateurs à savoir manier la langue de Shakespeare.

Des arguments spécieux ? Pour une part, car l’on aurait pu proposer ces documents en anglais avec une traduction dans notre langue nationale puisque l’objectif de la loi était de la protéger. Dix ans, plus tard, la Cour de Cassation tempère sa jurisprudence, certes dans un cas un peu différent. Résumons l’affaire. Un responsable des ventes d’une société française avait, suite à son licenciement, saisi le conseil des Prud’hommes d’une réclamation de certaines sommes, dont des commissions pour un part retenues sur ses bulletins de paye.

Le salarié se fondait sur le fait que le plan de commissionnement était écrit en langue anglaise et ne lui était donc pas applicable. Les juges du fond lui donnent tort, retenant que la langue de travail de l’entreprise était l’anglais et que les échanges internes, y compris avec le demandeur, étaient pour la plupart rédigés dans cette langue.

Au visa de l’article 1321-6 du Code du Travail, elle casse et renvoie, car la cour d’appel n’a pas vérifié si le document de base était venu de l’étranger, sachant que c’est la seule exception à la règle, hormis la nationalité du destinataire. Elle s’en tient à la lettre du texte, sachant qu’il semble suffire d’envoyer un document de l’étranger, rédigé dans une autre langue, pour qu’il puisse prendre vigueur. Cela ne paraît pas être un obstacle majeur. Malheureusement, notre langue est toujours en grand danger.

Vincent Gardy

Obligation de loyauté : les limites posées

C’est vrai que cela peut être agaçant pour un employeur de payer intégralement le salaire d’un collaborateur en arrêt de travail et d’apprendre « qu’il se la coule douce » par ailleurs. En l’occurrence, son salarié, manifestement coutumier des arrêts maladie, s’adonnait pendant ses absences à sa passion, le badminton. L’employeur le licencie, invoquant un manquement à l’obligation de loyauté d’un collaborateur. Les juges du fond ne le suivent pas et considèrent le licenciement comme sans cause réelle et sérieuse.

Les hauts magistrats se montrent quant à eux très précis. Ils démêlent patiemment l’écheveau de la situation. Ils rappellent tout d’abord qu’un acte commis par le salarié pendant la suspension de son contrat de travail n’est pas répréhensible en soi. Encore faut-il qu’il cause un préjudice à son employeur. Or, relève la Chambre sociale, il n’est pas prouvé que la participation du collaborateur ait contribué à aggraver son état de santé ou à allonger les arrêts de travail. Dès lors, préjudice il n’y a pas pour l’employeur et donc pas de manquement à l’obligation de loyauté, qui subsiste cependant, souligne la Haute cour, pendant l’arrêt de travail.

Vincent Gardy

Entretien d’évaluation et entretien professionnel : possibles à la même date

Un salarié, sans doute conseillé par un syndicat, s’est pourvu devant les Prud’hommes pour faire valoir l’irrégularité – et sans doute la nullité – de l’entretien d’évaluation, se fondant sur le fait que l’entretien professionnel vise à tracer les perspectives de carrière du salarié et ses éventuels besoins en formation, tandis que l’entretien d’évaluation a évidemment un but différent. Les juges du fond ont donné tort au salarié. La Chambre sociale, dans un arrêt du 5 juillet 2023, rapporté par La semaine sociale Lamy du 10/07, leur donne raison.

Au visa de l’article L. 6315-1 du Code du travail, elle dit que « le texte ne s’oppose pas à la tenue à la même date de l’entretien d’évaluation et de l’entretien professionnel [du moment que les questions d’évaluation ne soient pas évoquées dans ce dernier] ». Il n’est nulle part spécifié qu’ils doivent avoir lieu à des dates différentes.

Vincent Gardy

Droit à la preuve : un principe essentiel

La Cour de Cassation rappelle, au visa des articles L. 1221-1 du Code du travail et 1184 du Code civil (ce dernier en l’occurrence dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10/02/2016) que la régularisation éventuelle ne peut être postérieure à la rupture du contrat de travail. Dès lors, cette régularisation ne pouvait faire obstacle à une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. L’arrêt de la cour d’appel est donc cassé.

Un arrêt de la Cour de cassation (12/07/2021) vient nous rappeler que le droit à la justice suppose un droit à la preuve. Quels sont les faits en l’occurrence ? Un salarié se plaignait de supposées discriminations en matière de traitement par rapport à ses collègues de même rang ou ancienneté. Un grand classique somme toute. Mais là, évidemment, on marche toujours sur des oeufs puisque, pour faire la comparaison, il faut produire des éléments de nature personnelle et confidentielle sur ses collègues. La question, c’est qu’il faut étayer son argumentation avant même le procès, en obtenant la communication des pièces concernées. La cour d’appel déboute le salarié de sa demande de communication de ces documents. Elle fait valoir, entre autres, que les mesures sollicitées pourraient amener « une atteinte disproportionnée à la vie privée des salariés et au secret des affaires ». Les hauts magistrats ne l’entendent pas de cette oreille. Ils le font en particulier au visa des articles 6 et 8 de la CSDH : « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant à la vie personnelle ». 

Attente à la vie privée

Comme toujours, il faut que l’atteinte à la vie personnelle qui en résulte soit « proportionnée au but recherché et indispensable à l’exercice de [ce] droit ». La Chambre sociale relève que la cour d’appel n’a pas recherché si ces principes essentiels étaient en jeu dans le cas présent. Elle aurait donc dû accéder à la demande du salarié, quitte à restreindre « le périmètre de la production de pièces sollicitées ». La cour d’appel a par conséquent violé les textes (articles 145 et 9 du CPC, 9 du Code civil ainsi donc que 6 et 8 de la CSDH).

Vincent Gardy

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