Relations sociales

CV truqué : quelles sanctions ?

Quels sont les droits de l’employeur face à un CV trompeur ou à des assertions mensongères de la part d’un collaborateur qu’il découvre après son embauche. C’est évidemment un sujet récurrent. La Semaine sociale Lamy, dans son « tour de France » des cours d’appel, paru dans sa livraison du 2 septembre dernier, a mis en évidence un certain nombre d’arrêts récents, dont précisément un concernant cette thématique. Quels sont les faits ? Un candidat à un poste dans une société d’assurances a dissimulé lors de son entretien d’embauche le fait qu’il avait été licencié pour faute grave par son ancien employeur. A tout péché miséricorde certes, mais en la circonstance, il avait fait croire qu’il était toujours en poste dans ladite société. L’entretien se passe bien et l’employeur, qui ne va pas chercher plus loin, embauche ce candidat. Mais voilà, le nouvel employeur apprend un jour cette entourloupette et, s’estimant victime d’un dol à son encontre, il licencie le salarié pour faute grave, mettant en outre en évidence que son secteur - celui des assurances, exige un personnel d’une probité à toute épreuve.

Le salarié, décidément pas gêné, se pourvoit devant les Prud’hommes. La cour d’appel donne tort à l’employeur. Certes, sans doute y a-t-il dol. Mais la question à se poser, estime les juges du fond, est de savoir si ce dol a pu être déterminant pour l’embauche du candidat et si son précédent licenciement pour faute grave pouvait avoir une incidence quelconque sur l’emploi proposé. Ce raisonnement peut paraître étonnant, puisque précisément l’employeur avait mentionné la particularité de son métier pour justifier sa décision.

Vincent Gardy

Harcèlement : les écarts de langage censurés

Un récent arrêt de la Cour de Cassation du 13 mars dernier se fond dans le moule actuel de l’interdit jeté sur toute suspicion de harcèlement sexuel. En l’occurrence, un supérieur hiérarchique s’était autorisé à faire quelques propositions plutôt directes à certaines de ses collaboratrices. L’affaire passe devant les tribunaux, suite au licenciement du collaborateur en question par son employeur. Lequel le salarié n’est évidemment pas d’accord. La cour d’appel de Versailles fait preuve d’une certaine mansuétude à son égard. Bien sûr, les propos émis par SMS ou mails sortaient du registre professionnel mais, en quelque sorte, ce n’était pas gravissime.

Autrement dit, il avait tenté sa chance, sans insister. De sorte que, selon les juges du fond, le harcèlement sexuel, qui suppose a priori une répétition des faits à l’encontre d’une même personne, n’était pas caractérisé à leurs yeux. La Chambre sociale ne voit pas les choses de la même façon. Elle perçoit les répétitions de l’acte dans le nombre de personnes concernées, qui plus est de la part d'un supérieur hiérarchique. Relevant également entre autres griefs, que ce comportement occasionnait « une situation intimidante ou offensante », elle en déduit que le harcèlement sexuel était caractérisé et qu’il rendait bien impossible le maintien de ce collaborateur dans l’entreprise. L’arrêt de la cour d’appel est dès lors cassé, au visa du viol des articles L. 1153- 1, L. 1153-5, L. 1154-6 et L. 1234-1 du Code du travail.

Vincent Gardy

Clause de non-concurrence, de nouvelles précisions

Une autre affaire, ayant débouché sur un arrêt du 22 mai dernier de la Chambre sociale, apporte un éclairage intéressant sur la nullité d’une clause de non-concurrence invoquée par un salarié.

De quoi s’agissait- il ? Une clause de non-concurrence comportait différents points, en particulier l’un d’entre eux, relatif au périmètre géographique que le salarié estime abusif, car trop étendu. Manifestement, abus il y avait. Ce fut reconnu par le conseil des prud’hommes et même par l’employeur.

Ce dernier estime cependant qu’il n’était pas constaté que tous les autres points de la clause souffraient d’une contestation et que dès lors, les dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence lui étaient dus, étant entendu que le non-respect d’un seul point devait conduire à reconnaître « la faute ». L’employeur estimait que seule une limitation de l’extension de la clause aurait dû être prononcée et en aucun cas la nullité complète. Mais les juges du fond ne le suivent pas dans son raisonnement. La Cour de cassation confirme la décision d’appel. Dès lors qu’une clause de non-concurrence est reconnue illicite, même en partie, les juges d’appel ne peuvent qu’en prononcer la nullité, et en aucun cas en réduire le champ d’application.

Vincent Gardy

Licenciement d’un salarié protégé : l’autorisation administrative fait foi

Les juridictions d’ordres judiciaires distincts ne s’entendent pas forcément toujours très bien. La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 janvier dernier, vient d’effectuer un certain nombre de rappels importants en matière due licenciement de salarié protégé, exerçant ou ayant exercé un mandat - sous certaines conditions de délai, ou bien ayant été candidat à des élections professionnelles. Jusque-là tout est clair.

On sait que, quel que soit le motif du licenciement d’un salarié protégé, l’employeur doit demander son accord à l’administration, qui va vérifier s’il n’y a pas atteinte à cette protection par un motif détourné. Dans les faits qui nous occupent ici, l’employeur a précisément obtenu l’accord de l’administration pour un licenciement, en l’occurrence à caractère économique.

Tout va bien pour lui ? Que nenni ! Le juge judiciaire fait fi de l’autorisation administrative et annule le licenciement économique du salarié, sur le fondement d’une discrimination syndicale qu’il aurait subie. Les hauts magistrats ont une vue totalement différente de la situation. Au visa du principe de la séparation des pouvoirs, de la loi du 16 au 24 août 1790, et du décret du 16 fructidor an III, elle casse l’arrêt de la cour d’appel, dès lors qu’elle avait pris connaissance de l’autorisation administrative de licenciement préalable au licenciement. La cour d’appel a violé le principe de séparation des pouvoirs et les textes susvisés.

Vincent Gardy

Propos sexistes : attention les temps ont changé

Le durcissement progressif des lois dans certains domaines contribue à une perception différente de tel ou tel comportement d’une période à l’autre, provoquant souvent des difficultés. Ainsi en est-il des comportements dits sexistes au travail… et ailleurs.

Hasma Naït Hammou, élève-avocate, Hedac, et Victor Roisin, avocat associé, Factorhy Avocats, nous amenaient dans La Semaine sociale Lamy du 15 juillet dernier, sur la voie d’une réflexion sur ce sujet, sous l’angle de la répression interne d’actes ou de propos sexistes. Leur dissertation repose sur l’analyse d’un arrêt de la Chambre sociale du 12 juin 2024. En l’occurrence, et pour résumer, un salarié avait été licencié pour des propos tendancieux répétés, à connotation sexuelle, voire insultants et dégradants. Le salarié fit valoir que son comportement n’avait pas évolué pendant vingt ans, et qu’il n’avait jamais été sanctionné de ce fait.

Sans doute, mais les temps ont changé et la loi n° 2016- 1088 du 08/08/2016 a fait de la prévention - et donc de la répression des agissement sexistes, l’une des obligations explicites de l’employeur quant à la prévention des risques. En la circonstance, l’employeur en était conscient, puisqu’il avait envisagé une mise à pied disciplinaire, avant de licencier le salarié pour faute simple. La cour d’appel de Grenoble a considéré ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, donc aux motifs de la répétition dans le temps d’actes jugés tout à coup répréhensibles et de la volonté de l'employeur, dans un premier temps, de prendre une simple mesure disciplinaire à l’encontre du salarié.

Les auteurs de l’analyse reconnaissent « qu’il est de jurisprudence constante qu’un comportement toléré par l’employeur ne peut pas justifier un licenciement pour motif disciplinaire ». Mais là… on touche à l’obligation de sécurité, puisque les agissements du salarié fautif peuvent avoir des répercussions sur la santé mentale de ses collègues. Dans cette affaire, au visa précisément et notamment de l’article L. 4121-1 du Code du travail, la Haute cour écarte donc l’application de la jurisprudence habituelle : « […] Tenir de manière répétée des propos à connotation sexuelle, insultants et dégradants, constitue un comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, quelle qu’ait pu être l’attitude antérieure de l’employeur ».

Cette jurisprudence ne semble cepend pas être encore solidement établie. Hasma Naït Hammou et Victor Roisin recommandent néanmoins la prudence aux employeurs, quitte à « adresser au préalable au salarié (avant toute sanction) un rappel de ses obligations ».

Vincent Gardy

Période de protection : des contraintes très précises

Le législateur, et avec lui la jurisprudence, sont très soucieux du respect complet de la période de protection des salariés, quel qu’en soit le motif. Un arrêt du 29 novembre dernier nous le remémore.

En l’occurrence, un employeur avait cru pouvoir entamer une procédure de licenciement pendant la période de protection du salarié concerné - pour accélérer le mouvement on suppose. Manifestement, il prit ensuite, dans le respect des règles classiques, la décision de licencier son collaborateur. Lequel l’assigne aux Prud’hommes. Or, l’employeur avait trop anticipé. Il avait convoqué son salarié à l’entretien pendant la période de protection. Le défendeur argua que cet entretien eut lieu à son issue. Mais les hauts magistrats ne voient pas les choses de cette façon. Au visa de l’article L. 1225-4 du code du Travail, dans sa rédaction issue de la loi du 08/08/2016, ils estiment « que l’employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant la période de protection », le fait que l’entretien eut lieu après « importe peu ». L’arrêt d’appel est donc cassé.

Vincent Gardy

Discrimination à raison de l’origine : toujours plus loin !

Dans un arrêt du 20 décembre 2023, la Cour de Cassation a mis la barre encore plus haut en matière de lutte contre les discriminations en entreprise. En l’occurrence, à ce que l’on comprend, une salariée d’origine étrangère n’était pas satisfaite de sa classification dans la grille de son entreprise.

Elle s’estimait victime d’une discrimination à raison de son origine. L’employeur faisait valoir qu’elle ne disposait pas du diplôme professionnel français qui lui aurait permis d’accéder à la catégorie qu’elle visait. La cour d’appel suit l’employeur dans sa démonstration. La salariée n’a pas fait état, selon elle, d’éléments suffisants pour étayer sa thèse d’une discrimination à raison de son origine. La Cour de cassation prend les juges du fond à rebours. A travers une argumentation pour le moins alambiquée, les hauts magistrats déduisent de la référence à l’absence de diplôme français et d'expérience professionnelle en France, la supposition d’une discrimination à raison de l’origine de la salariée.

Dès lors selon eux, la cour d’appel a violé l’article L. 1134-1 du Code du travail. Nous restons dubitatifs ! La définition de la discrimination à raison de l’origine a-t-elle changé ? Manifestement, la salariée n’avait pas forcément le niveau requis pour accéder tout de suite à la catégorie supérieure.

Vincent Gardy

Usage de la langue française au travail : la Cour de Cassation se rebiffe

La langue française est celle de notre nation. Son usage est battu en brèche depuis maintenant de nombreuses années, en particulier dans les médias ou les entreprises transnationales.

La loi du 04/08/1994 dite loi Toubon, instaurait un certain nombre de contraintes, en particulier aux publicitaires, afin de préserver notre langue. Une des dispositions (article 1321-6 du Code du Travail) relevait que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail », doit être rédigée en français. Cependant, l’alinéa 2 du même article introduisait une exception concernant la réception de documents de l’étranger ou destinés à des étrangers. Tout cela est quelque peu ambigu, mais il était clair que la règle était l’usage du français. A cet égard, la Cour de Cassation avait fait preuve d’une lecture disons bienveillante, de l’article 1321-6, par le célèbre arrêt Air France du 12 juin 2012. Les hauts magistrats avaient fait une interprétation étendue de l’exception de l’alinéa 2. Ils avaient accepté la validité de manuels aéronautiques rédigés en anglais ne provenant pas de l’étranger et destinés à des collaborateurs dont la plupart étaient français. Dans leur raisonnement, ils relevaient le caractère international du transport aérien qui amenait, selon eux, les collaborateurs à savoir manier la langue de Shakespeare.

Des arguments spécieux ? Pour une part, car l’on aurait pu proposer ces documents en anglais avec une traduction dans notre langue nationale puisque l’objectif de la loi était de la protéger. Dix ans, plus tard, la Cour de Cassation tempère sa jurisprudence, certes dans un cas un peu différent. Résumons l’affaire. Un responsable des ventes d’une société française avait, suite à son licenciement, saisi le conseil des Prud’hommes d’une réclamation de certaines sommes, dont des commissions pour un part retenues sur ses bulletins de paye.

Le salarié se fondait sur le fait que le plan de commissionnement était écrit en langue anglaise et ne lui était donc pas applicable. Les juges du fond lui donnent tort, retenant que la langue de travail de l’entreprise était l’anglais et que les échanges internes, y compris avec le demandeur, étaient pour la plupart rédigés dans cette langue.

Au visa de l’article 1321-6 du Code du Travail, elle casse et renvoie, car la cour d’appel n’a pas vérifié si le document de base était venu de l’étranger, sachant que c’est la seule exception à la règle, hormis la nationalité du destinataire. Elle s’en tient à la lettre du texte, sachant qu’il semble suffire d’envoyer un document de l’étranger, rédigé dans une autre langue, pour qu’il puisse prendre vigueur. Cela ne paraît pas être un obstacle majeur. Malheureusement, notre langue est toujours en grand danger.

Vincent Gardy

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