Relations sociales

Recevabilité d’une signature manuscrite scannée

Le télétravail, la volonté aussi d’aller plus vite dans les procédures, amènent à abandonner progressivement l’exigence d’une signature manuscrite dans de plus en plus nombreux cas (parapheurs, contrats…). En tous cas, on envoie à son correspondant des documents signés par scan.

En général, tout se passe bien, mais il vaut mieux se servir d’une signature électronique authentique si l’on ne veut pas avoir de soucis. Il en est de même partout, y compris dans le domaine du droit social.

La cour de cassation a eu l’occasion récemment dans un arrêt du 14 décembre 2023, très bien commenté par notre consoeur Françoise Champeaux, dans La Semaine sociale Lamy du 16 janvier, de donner son interprétation d’un CDD signé manuscritement par l’employeur mais transmis sous forme de scan.

En la circonstance, un salarié embauché en CDD avait demandé la requalification en CDI, en raison de la présence dans le contrat d’une signature de l’employeur « photocopiée et non manuscrite ». Il est vrai que le CDD, contrat dérogatoire, est soumis à des contraintes de formes très précises.

Vincent Gardy

Barèmes Macron : la fermeté de la cour de cassation

Alors que le mandat de l’actuel président de la République s’achève bientôt, on évoque son bilan, avec ses aspects positifs ou négatifs, selon les goûts de chacun, de sa gestion. Certains lui reprochent de n’être pas allé au bout des réformes qu’il avait promises, comme celle sur les retraites, à vrai dire très discutable dans ses modalités.

Qu’en est-il de la sécurisation qu’il avait souhaité, avec son gouvernement, apporter aux employeurs, sous la pression des organisations patronales, quant aux indemnités de licenciement.

L’idée était d’éviter aux entreprises les aléas des décisions prud’homales dans ce cas de figure. La tradition est, en effet, d’indemniser le plaignant à hauteur de son préjudice réel et on arrivait souvent à un minimum de six mois de salaire, quelle que soit la situation, même en cas d’embauches relativement récentes.

Dès lors fut instauré ce qu’il est convenu d’appeler le barème Macron, fixant un minimum et un maximum d’indemnisation en fonction d’un certain nombre de critères. Naturellement, comme on pouvait le prévoir, les juges du fond firent rapidement de la résistance, souhaitant conserver leur libre-arbitre pour déterminer l’étendue réelle du préjudice. Cependant, la juridiction suprême tint bon. Un récent arrêt de la Cour de Cassation (du 15 décembre) le confirme. Au-delà du caractère spécifique de l’affaire, les hauts magistrats réaffirment en effet la nécessité d’appliquer la loi qui comporte, en particulier, la mention d’un maximum.

En la circonstance, l’employeur avait été condamné à verser à un salarié une somme nette de 63 364,20 euros, en fonction, estimaient les juges du fond selon leurs calculs, de l’application du barème Macron. Cet arrêt d’appel est cassé. Notez-le bien, le calcul donnait, selon la Chambre sociale, 63 363,20 brut. Cela peut paraître anecdotique, mais démontre l’importance que la Chambre haute attache au strict respect de l’article L. 1235.30 du code du travail susvisé.

A bon entendeur salut !

Vincent Gardy

Licenciement : des précisions possibles sur les motifs après la lettre

Les obligations de l’employeur en matière de motivation des licenciements ont été modifiées à travers une ordonnance du 25 septembre 2017. Elles laissent un peu plus de souplesse dans l’énonciation des motifs, auparavant fixés à la seule et unique mouture de la lettre.

En l’occurrence, lesdits motifs sont susceptibles d’être précisés par l’employeur, de son propre chef, ou à la demande du salarié.

L’article R. 1232–13 du Code du travail indique qu’un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement est accordé afin de demander des éclaircissements. L’employeur a dès lors quince jours pour y répondre. Mais est-ce que l’employeur doit préciser au salarié cette possibilité dans la lettre de licenciement? Un salarié a tenté de jouer sur ce tableau pour le faire déclarer comme sans cause réelle ni sérieuse. Les juges du fond ne le suivent pas dans sa démarche. La Cour de cassation leur donne raison dans un arrêt du 27 juin 2022. Toujours très près des textes, comme souvent dernièrement, les hauts magistrats remarquent « qu’aucune disposition n’exige de l’employeur qu’il prévienne le salarié qu’il a le droit de demander des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre ».

Dès lors, comme les juges du fond avaient constaté que les faits à l’origine du licenciement - du reste graves, étaient clairement énoncés dans le courrier, celui-ci répondait aux [exigences légales de motivation].

Vincent Gardy

Entretien d’évaluation : attention aux comptes rendus

L’entretien d’évaluation a des objectifs très précis, à savoir faire progresser le salarié et bien sûr favoriser une collaboration efficace. Un arrêt récent de la Cour de Cassation
(2 février 2022) invite les managers à la prudence dans l’élaboration de leurs comptes rendus établis à cette occasion.

En l’occurrence, un employeur s’est pris les pieds dans un licenciement qui fit suite à un compte rendu d’évaluation, lequel a été analysé par les juges du fond comme un avertissement. A partir de là, en vertu de l’adage « non bis in idem », l’employeur se trouvait donc avoir sanctionné deux fois – d’abord par un avertissement puis par un licenciement, la même faute.

Et la cour d’appel de le condamner pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans son recours auprès de la Cour de cassation, le défendeur faisait valoir que le compte rendu incriminé, s’il faisait effectivement état de griefs vis-à-vis du salarié, ne traduisait pas une volonté de le sanctionner, et ne constituait pas une mesure disciplinaire.

Cependant, la Cour de cassation ne le suit pas dans son raisonnement. Relevant les mots très durs de l’employeur vis-à-vis du salarié, et une invitation « impérative et comminatoire » à changer complètement d’attitude, les hauts magistrats donnent raison aux juges du fond qui avaient analysé le texte comme un avertissement constatant un comportement fautif.

Dès lors, bien sûr, les mêmes faits ne pouvaient conduire à une autre sanction, en l’occurrence un licenciement. CQFD.

Vincent Gardy

Barème Macron : fermeté de la Haute Cour

Dans deux arrêts du 11 mai dernier, lié l’un au recours d'un salarié, l'autre à celui d'un employeur, la Chambre sociale marque le coup.

En résumé, le barème Macron est consacré. On sait que de nombreux conseils de Prud’hommes et cours d'appel ont, depuis 2017, fait de la résistance à la mise en place de cette loi, qui encadre les possibilités pour les juges de fixer le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à un niveau couvrant intégralement le préjudice subi.

On sait que ce barème visait à donner plus de visibilité aux employés mais surtout aux employeurs, quant au montant des indemnités à verser en cas de rupture injustifiée. Il est reproché à ce barème d’être défavorable aux salariés ayant peu d’ancienneté dans leur entreprise ou dont la rémunération est faible. Les syndicats de salariés ont donc tenté de s’y opposer, au travers de contentieux devant les juridictions de premier ou de deuxième degré, en utilisant différents leviers, au premier rang desquels la Convention n° 158 de l’OIT. A cet égard, saisie pour avis par les juges du fond, l’assemblée plénière estimait en 2019 que les termes de l’article L. 1235-3 du Code du Travail ne contrevenaient pas avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Il s'agissait d'un avis, non contraignant par définition, quoiqu’émanant de l'instance judiciaire suprême. Cette fois il s’agit d'arrêts. Le champ de la contestation s'était étendu entretemps à la Charte sociale européenne. Les plaignants prétendaient que le « barème Macron » était attentatoire à son texte (article 24 de la charte). La Chambre sociale balaie cette argumentation, en se drapant dans les oripeaux de la DDHC – c’est bien pratique.

Aux termes de cet article, « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Un mode de réparation intégrale in concreto est donc exclu, tandis qu’in abstracto, le barème n’est pas inconventionnel (par rapport à la Charte sociale européenne).

Certes, la France risque une condamnation par le Comité européen des droits sociaux, autorité interprétative de la Charte. Mais cela n’aurait pas de conséquences concrètes. Quoi qu’il en soit, ces arrêts de la Haute cour en réjouissent certains et en déçoivent d’autres. Parmi ces derniers, Julien Icart, professeur à l’université de Panthéon-Assas. Il voit à l’avenir de contentieux prud’hommaux se concentrer sur les affaires à enjeux ou basculer sur des échappatoires, avec « l’instrumentalisation de motifs illicites –discrimination, harcèlement… – permettant d’échapper au barème » (in Semaine sociale Lamy du 16 mai dernier).

Vincent Gardy

 

Lanceur d’alerte : un équilibre parfois instable

Toujours délicat pour un salarié de dénoncer un comportement illicite de sa direction ou de collègues. De plus, il se trouve parfois incriminer une personne ou une pratique à tort. Et la menace de licenciement n'est pas là.

Il semble que c'est ce qui est arrivé à un salarié, dont l’affaire est arrivée en cassation et a valu un arrêt rendu le 19 janvier dernier, un arrêt relevé en particulier par La semaine sociale Lamy du 24/01.

De quoi s’agissait-il en substance ? Le collaborateur d’une compagnie de commissaires aux comptes avait cru déceler une pratique prohibée par le code de déontologie d’une profession très réglementée, où l’on bascule vite dans le pénal. Il avait saisi l’organisme professionnel représentatif de cette supposée infraction, après qu’il en eût discuté en vain avec son employeur. Suite à quoi, il fut licencié. Naturellement il alla devant les Prud’hommes. Dans l’affaire, il semble que les faits supposés illicites se soient avérés faux ou inexacts.

Les juges du fonds relèvent que le salarié n’avait pas connaissance « de la fausseté des faits qu’il dénonçait, que [sa] mauvaise fois n’était pas établie » Dès lors, ils déclaraient le licenciement nul. La chambre haute confirme l’arrêt d’appel.

Le salarié a le droit de signaler « des actes illicites constatés sur son lieu de travail ». Dès lors, le licenciement d'un salarié qui a relaté ces faits doit être frappé de nullité. Cela, du moment qu'il s'est exprimé de bonne foi et surtout, sans doute quand les manquements supposés seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement. Peu importe, en l’occurrence, que les faits se soient révélés faux par la suite.

Vincent Gardy

Licenciement économique : une lecture stricte des conditions d’admission

Un arrêt récent de la Cour de cassation, commenté avec perspicacité par notre consœur Françoise Champeaux dans La semaine sociale Lamy du 27 juin, nous donne l’occasion de revenir sur les conditions d’admission d’un motif économique pour un licenciement, alors que la loi du 8 août 2016 en a profondément modifié sa définition.

Pour résumer hâtivement ce premier arrêt depuis le nouveau texte, l’interprétation qu’en font les hauts magistrats apparaît stricte, comme souvent d’ailleurs ces derniers temps. Le but de la loi de 2016 était, un peu comme celui du barème Macron, de donner plus de visibilité aux entreprises, tout particulièrement aux PME, sur leurs possibilités d’aller vers un ou des licenciements économiques, sans les voir requalifier ensuite en justice.

Le législateur a voulu établir une grille d’indicateurs, comme le recul du CA, des commandes, une dégradation de la trésorerie… qui valideraient un licenciement économique. Tout cela en tenant compte de la taille des entreprises.

Quant à l’article L. 1233-1, 1°, il prévoit que, concernant la baisse des commandes ou du CA, elle doit être établie comparativement avec la même période de l’année antérieure, sur un à quatre trimestres suivant le nombre de salariés (moins de 11 à plus de 300). La loi Travail avait rompu avec la méthode du faisceau d’indices, donnant davantage de pouvoir d’appréciation aux juges.

Dans l’affaire qui nous occupe ici, la salariée licenciée travaillait dans une entreprise de plus de 300 salariés. L’employeur avait choisi de faire valoir un recul de son CA sur quatre trimestres consécutifs, s’agissant d’un des critères possibles pour une entité de cette taille.

La salariée attaqua aux Prud’hommes. La cour d’appel donne raison à l’employeur. Elle observe que recul du CA il y a bien eu sur quatre trimestres, au moment du déclenchement de la procédure de licenciement. En l’occurrence, ils examinent les quatre trimestres de baisse de 2016, tandis que le licenciement s’est produit en juillet 2017.

Or, le CA s’est légèrement rehaussé au premier trimestre 2017. Dès lors, la Chambre sociale casse l’arrêt des juges du fond. « Le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci », donc en prenant en compte les trimestres glissants de date à date. Et comme on n’examine plus un faisceau d’indices, le tour est joué pour la plaignante.

 

Vincent Gardy

Heures supplémentaires : un contentieux grandissant

Il semble que la « barémisation Macron » des indemnités de licenciement en 2017 ait incité des salariés – parfois même des dirigeants « présumés », à faire valoir des demandes de paiement d’heures supplémentaires qui n’auraient pas, selon eux, été rémunérées.

Le phénomène du télétravail rend les choses encore plus floues. Une enquête ADP de 2021, rapportée par Charlotte Windal, avocat chez Majorelle Avocats, dans La Semaine sociale Lamy du 8 novembre dernier, indique que les salariés seront passés de 4,39 heures supplémentaires en 2019 à 6,65 heures en 2021, d’après le décompte des intéressés eux-mêmes, un décompte forcément sujet à caution.

Nous l’avons indiqué supra, même les dirigeants en arrivent à réclamer des indemnisations à ce titre. C’est que certains d’entre eux peuvent parvenir à démontrer que l’exercice de leurs responsabilités s’effectue en dehors du cadre légal ou jurisprudentiel auquel ils sont soumis, en particulier leur « habilitation à prendre des décisions de manière autonome ». Cela peut se matérialiser de différentes manières – obligations de reporting, directives de leur hiérarchie… et autres moyens de fond.

De même, les salariés au forfait annuel jours peuvent obtenir le paiement d’heures supplémentaires en justice dans deux cas, explique Charlotte Windal.

  • L’accord d’entreprise ou de branche « n’est pas conforme aux exigences légales et jurisprudentielles ».
  • Ou bien la convention n’est pas entachée de nullité, mais le salarié établit que son employeur ne la respecte pas.

Prudence et vigilance de l’employeur

Charlotte Windal procède, dans son article, à un fort intéressant rappel d’un certain nombre de grands principes de base établis par la jurisprudence en matière d’heures supplémentaires. En substance, l’employeur doit être très prudent et vigilant dans le contrôle des horaires de ses employés, en évitant par exemple une charge de travail trop importante aux salariés, et en veillant à répartir au mieux les tâches entre eux. En effet, ils pourraient faire valoir que les travaux demandés justifiaient un temps supplémentaire à l’horaire légal ou conventionnel pour les réaliser.

Si litige il y a, « la preuve des heures supplémentaires n’incombe spécialement ni à l’employeur, ni au salarié », rappelle Charlotte Windal. C’est un régime de la preuve partagée qui est privilégié par la Chambre sociale, un régime « clarifié » dans arrêt de mars 2020.

Le salarié demandeur devra amener des éléments factuels recélant « un minimum de précisions ». En réplique, l’employeur devra indiquer des éléments de réponse pertinents, soit positifs, soit négatifs, c’est-à-dire faisant tomber les arguments du salarié.

Mais il convient de se préparer en amont, afin d’éviter les contentieux, à partir des griefs qui reviennent le plus souvent dans les prétoires, car l’enjeu peut être très important.

Vincent Gardy

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