Relations sociales

Entretien d’évaluation et entretien professionnel : possibles à la même date

Un salarié, sans doute conseillé par un syndicat, s’est pourvu devant les Prud’hommes pour faire valoir l’irrégularité – et sans doute la nullité – de l’entretien d’évaluation, se fondant sur le fait que l’entretien professionnel vise à tracer les perspectives de carrière du salarié et ses éventuels besoins en formation, tandis que l’entretien d’évaluation a évidemment un but différent. Les juges du fond ont donné tort au salarié. La Chambre sociale, dans un arrêt du 5 juillet 2023, rapporté par La semaine sociale Lamy du 10/07, leur donne raison.

Au visa de l’article L. 6315-1 du Code du travail, elle dit que « le texte ne s’oppose pas à la tenue à la même date de l’entretien d’évaluation et de l’entretien professionnel [du moment que les questions d’évaluation ne soient pas évoquées dans ce dernier] ». Il n’est nulle part spécifié qu’ils doivent avoir lieu à des dates différentes.

Vincent Gardy

Recevabilité d’une signature manuscrite scannée

Le télétravail, la volonté aussi d’aller plus vite dans les procédures, amènent à abandonner progressivement l’exigence d’une signature manuscrite dans de plus en plus nombreux cas (parapheurs, contrats…). En tous cas, on envoie à son correspondant des documents signés par scan.

En général, tout se passe bien, mais il vaut mieux se servir d’une signature électronique authentique si l’on ne veut pas avoir de soucis. Il en est de même partout, y compris dans le domaine du droit social.

La cour de cassation a eu l’occasion récemment dans un arrêt du 14 décembre 2023, très bien commenté par notre consoeur Françoise Champeaux, dans La Semaine sociale Lamy du 16 janvier, de donner son interprétation d’un CDD signé manuscritement par l’employeur mais transmis sous forme de scan.

En la circonstance, un salarié embauché en CDD avait demandé la requalification en CDI, en raison de la présence dans le contrat d’une signature de l’employeur « photocopiée et non manuscrite ». Il est vrai que le CDD, contrat dérogatoire, est soumis à des contraintes de formes très précises.

Vincent Gardy

Discrimination indirecte : la preuve par les statistiques

La Semaine sociale Lamy du 29 mai dernier publiait un compte rendu pertinent de la récente intervention de Jean- Guy Huglo, doyen de la Chambre sociale de la Cour de Cassation. Il s’agissait pour le doyen de commenter les jurisprudences récentes relevant des libertés fondamentales et du principe de non-discrimination. Parmi les arrêts passés en revue, figure celui du 14/12/2022 de la Cour de Cassation relatif à la production par un salarié « d’origine immigrée » de statistiques censées prouver une discrimination indirecte de cette catégorie de collaborateurs dans le déroulement de leur carrière, en fonction de leur patronyme.

Il semblait indéniable que le pourcentage de personnes a priori « d’origine immigrée » accédant en l’occurrence à un CDI après une période d’intérim, était deux fois moindre que celui des autres.

Certes, c’est un indice, mais qu’est-ce que cela prouve vraiment ? Les juges du fond en étaient conscients, et après avoir examiné les faits, ont estimé que « l’employeur ne démontrait pas l’existence d’éléments objectifs justifiant l’existence de cette discrimination ».

La Cour de Cassation a rejeté le recours de l’employeur considérant que « ces éléments statistiques laissaient supposer une discrimination ». Le doyen Huglo y voit une nouvelle affirmation de la notion de discrimination systémique. La CJUE est assez prudente en la matière, écartant régulièrement l’apport de statistiques qui sont susceptibles de correspondre à un événement fortuit.

Il convient donc de vérifier s’il existe un lien significatif entre les origines d’un salarié et, en l’occurrence ici, la décision de recrutement en CDI. Les statistiques fournies ne sont que le premier élément de preuve que l’employeur peut combattre à l’aide d’éléments objectifs.

Vincent Gardy

Droit à la preuve : un principe essentiel

La Cour de Cassation rappelle, au visa des articles L. 1221-1 du Code du travail et 1184 du Code civil (ce dernier en l’occurrence dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10/02/2016) que la régularisation éventuelle ne peut être postérieure à la rupture du contrat de travail. Dès lors, cette régularisation ne pouvait faire obstacle à une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur. L’arrêt de la cour d’appel est donc cassé.

Un arrêt de la Cour de cassation (12/07/2021) vient nous rappeler que le droit à la justice suppose un droit à la preuve. Quels sont les faits en l’occurrence ? Un salarié se plaignait de supposées discriminations en matière de traitement par rapport à ses collègues de même rang ou ancienneté. Un grand classique somme toute. Mais là, évidemment, on marche toujours sur des oeufs puisque, pour faire la comparaison, il faut produire des éléments de nature personnelle et confidentielle sur ses collègues. La question, c’est qu’il faut étayer son argumentation avant même le procès, en obtenant la communication des pièces concernées. La cour d’appel déboute le salarié de sa demande de communication de ces documents. Elle fait valoir, entre autres, que les mesures sollicitées pourraient amener « une atteinte disproportionnée à la vie privée des salariés et au secret des affaires ». Les hauts magistrats ne l’entendent pas de cette oreille. Ils le font en particulier au visa des articles 6 et 8 de la CSDH : « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant à la vie personnelle ». 

Attente à la vie privée

Comme toujours, il faut que l’atteinte à la vie personnelle qui en résulte soit « proportionnée au but recherché et indispensable à l’exercice de [ce] droit ». La Chambre sociale relève que la cour d’appel n’a pas recherché si ces principes essentiels étaient en jeu dans le cas présent. Elle aurait donc dû accéder à la demande du salarié, quitte à restreindre « le périmètre de la production de pièces sollicitées ». La cour d’appel a par conséquent violé les textes (articles 145 et 9 du CPC, 9 du Code civil ainsi donc que 6 et 8 de la CSDH).

Vincent Gardy

Obligation de loyauté : les limites posées

C’est vrai que cela peut être agaçant pour un employeur de payer intégralement le salaire d’un collaborateur en arrêt de travail et d’apprendre « qu’il se la coule douce » par ailleurs. En l’occurrence, son salarié, manifestement coutumier des arrêts maladie, s’adonnait pendant ses absences à sa passion, le badminton. L’employeur le licencie, invoquant un manquement à l’obligation de loyauté d’un collaborateur. Les juges du fond ne le suivent pas et considèrent le licenciement comme sans cause réelle et sérieuse.

Les hauts magistrats se montrent quant à eux très précis. Ils démêlent patiemment l’écheveau de la situation. Ils rappellent tout d’abord qu’un acte commis par le salarié pendant la suspension de son contrat de travail n’est pas répréhensible en soi. Encore faut-il qu’il cause un préjudice à son employeur. Or, relève la Chambre sociale, il n’est pas prouvé que la participation du collaborateur ait contribué à aggraver son état de santé ou à allonger les arrêts de travail. Dès lors, préjudice il n’y a pas pour l’employeur et donc pas de manquement à l’obligation de loyauté, qui subsiste cependant, souligne la Haute cour, pendant l’arrêt de travail.

Vincent Gardy

Licenciement : des précisions possibles sur les motifs après la lettre

Les obligations de l’employeur en matière de motivation des licenciements ont été modifiées à travers une ordonnance du 25 septembre 2017. Elles laissent un peu plus de souplesse dans l’énonciation des motifs, auparavant fixés à la seule et unique mouture de la lettre.

En l’occurrence, lesdits motifs sont susceptibles d’être précisés par l’employeur, de son propre chef, ou à la demande du salarié.

L’article R. 1232–13 du Code du travail indique qu’un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement est accordé afin de demander des éclaircissements. L’employeur a dès lors quince jours pour y répondre. Mais est-ce que l’employeur doit préciser au salarié cette possibilité dans la lettre de licenciement? Un salarié a tenté de jouer sur ce tableau pour le faire déclarer comme sans cause réelle ni sérieuse. Les juges du fond ne le suivent pas dans sa démarche. La Cour de cassation leur donne raison dans un arrêt du 27 juin 2022. Toujours très près des textes, comme souvent dernièrement, les hauts magistrats remarquent « qu’aucune disposition n’exige de l’employeur qu’il prévienne le salarié qu’il a le droit de demander des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre ».

Dès lors, comme les juges du fond avaient constaté que les faits à l’origine du licenciement - du reste graves, étaient clairement énoncés dans le courrier, celui-ci répondait aux [exigences légales de motivation].

Vincent Gardy

Barème Macron : la Chambre haute enfonce le clou

Que les juges du fond se le disent ! Les hauts magistrats de la Chambre sociale veulent que le « Barème Macron » soit appliqué. Un arrêt récent, du 1er février dernier, le confirme. On sait que la tradition est d’indemniser complètement un préjudice une fois qu’il a été établi, d’où les réticences les juges du fond. En l’occurrence, une salariée dont le licenciement avait été jugé sans cause réelle et sérieuse, avait fait valoir un certain nombre d’arguments personnels pour réclamer à son employeur davantage que ce que prévoit le Barème Macron. Les juges du fond la suivent dans son raisonnement et lui octroient la bagatelle de l’équivalent de onze mois de salaire. La Chambre haute fonde son analyse sur la lecture de l’article L.1235-3 du Code du travail : elle remarque que la liberté d’action du juge est encadrée et qu’il doit jauger l’indemnité attribuable à la salariée dans l’intervalle de trois à six mois de salaire pour ce qui la concerne, alors qu’elle justifiait d’une ancienneté d’un moins de six ans.

Dès lors, c’est clair, l’arrêt de la cour d’appel, « qui a violé le texte susvisé », est cassé.

Vincent Gardy

Barème Macron : fermeté de la Haute Cour

Dans deux arrêts du 11 mai dernier, lié l’un au recours d'un salarié, l'autre à celui d'un employeur, la Chambre sociale marque le coup.

En résumé, le barème Macron est consacré. On sait que de nombreux conseils de Prud’hommes et cours d'appel ont, depuis 2017, fait de la résistance à la mise en place de cette loi, qui encadre les possibilités pour les juges de fixer le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à un niveau couvrant intégralement le préjudice subi.

On sait que ce barème visait à donner plus de visibilité aux employés mais surtout aux employeurs, quant au montant des indemnités à verser en cas de rupture injustifiée. Il est reproché à ce barème d’être défavorable aux salariés ayant peu d’ancienneté dans leur entreprise ou dont la rémunération est faible. Les syndicats de salariés ont donc tenté de s’y opposer, au travers de contentieux devant les juridictions de premier ou de deuxième degré, en utilisant différents leviers, au premier rang desquels la Convention n° 158 de l’OIT. A cet égard, saisie pour avis par les juges du fond, l’assemblée plénière estimait en 2019 que les termes de l’article L. 1235-3 du Code du Travail ne contrevenaient pas avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT. Il s'agissait d'un avis, non contraignant par définition, quoiqu’émanant de l'instance judiciaire suprême. Cette fois il s’agit d'arrêts. Le champ de la contestation s'était étendu entretemps à la Charte sociale européenne. Les plaignants prétendaient que le « barème Macron » était attentatoire à son texte (article 24 de la charte). La Chambre sociale balaie cette argumentation, en se drapant dans les oripeaux de la DDHC – c’est bien pratique.

Aux termes de cet article, « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Un mode de réparation intégrale in concreto est donc exclu, tandis qu’in abstracto, le barème n’est pas inconventionnel (par rapport à la Charte sociale européenne).

Certes, la France risque une condamnation par le Comité européen des droits sociaux, autorité interprétative de la Charte. Mais cela n’aurait pas de conséquences concrètes. Quoi qu’il en soit, ces arrêts de la Haute cour en réjouissent certains et en déçoivent d’autres. Parmi ces derniers, Julien Icart, professeur à l’université de Panthéon-Assas. Il voit à l’avenir de contentieux prud’hommaux se concentrer sur les affaires à enjeux ou basculer sur des échappatoires, avec « l’instrumentalisation de motifs illicites –discrimination, harcèlement… – permettant d’échapper au barème » (in Semaine sociale Lamy du 16 mai dernier).

Vincent Gardy

 

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