Relations sociales

Présomption de faute inexcusable de l’employeur : un usage peu fréquent

Un récent arrêt de la 2e Chambre civile de la Cour de cassation, commenté en détail par Luc de Montvalon, maître de conférences à l’INU Champollion d'Albi, dans La Semaine sociale Lamy du 20/09/2021, nous permet d'évoquer la faute « inexcusable » de l’employeur.  En l'occurrence, un salarié a réussi à obtenir de la Chambre haute, une présomption de faute inexcusable de son employeur, qu’on peut qualifier d'irréfragable. Dès lors, les moyens de défense de l'employeur deviennent très limités. En l'occurrence, il perd l’affaire.

De quoi s’agissait-il ? Un employé avait reçu des menaces de mort de la part de certains de ses collègues, dans un contexte de grande tension dans l’entreprise, contexte que son employeur lui avait, du reste, signalé lors de son embauche. Des menaces, il y en a malheureusement trop souvent. Dans ce cas précis, il y a eu un passage à l'acte. L’employé a été odieusement maltraité. Son agression, comme c'est logique, rappelle Luc de Montvalon, a été reconnue comme maladie professionnelle. En outre, assignation est faite au civil pour obtenir réparation de l’employeur sur le fondement précisément d’une faute inexcusable alors qu’il avait été en la circonstance alerté d’un danger par le salarié. Cela aurait pu être par le truchement d'un représentant syndical ou du personnel. La cour d'appel de Toulouse avait rejeté les demandes, tant principale que subsidiaire, du salarié.

Quant à la demande principale, le rejet était dû à une question de forme, les juges du fond estimant que la lettre du salarié ne constituant pas une alerte, stricto sensu. Pour ce qui est de la demande subsidiaire, la cour d’appel faisait valoir que la conscience du danger par l’employeur n’était pas établie, s’agissant d’un risque d’agression physique sans rapport avec le poste qu’occupait la victime.

L’employeur doit s’engager activement dans la prévention des risques

 

Quoi qu’il en soit donc, sur pourvoi de cette dernière, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel, estimant que les faits qu’elle a relevés auraient dû les inciter à faire bénéficier le salarié de droit d’une faute inexcusable de l’employeur. Cet angle d’attaque des salariés est devenu rare, car la jurisprudence a fait évoluer le concept
« classique » de faute inexcusable de l’employeur, de telle sorte que la présomption est moins nécessaire qu’auparavant pour obtenir gain de cause. Luc de Montvalon cite à cet égard un arrêt de la même 2e Chambre civile à propos du fondement de la faute inexcusable, qui élargit son champ d'application, puisqu'elle parle désormais de
« l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé », et non plus « d'obligation de sécurité de résultat ». Cet arrêt de 2020 poursuivait ainsi sur la lignée des Arrêts amiante de 2002. Dès lors, explique Luc de Montvalon : « la frontière entre les faits inexcusables présumés et prouvés était devenue plus ténue ».

« Dans ces conditions, conclut-t-il, il n'est pas indispensable de présumer que l'employeur est resté passif face à une alerte donnée par un de ses salariés. Il suffit de démontrer qu'il [ne s'est pas engagé] activement dans une démarche de prévention des risques professionnels [pour caractériser la faute] ».

Vincent Gardy

Absence prolongée d’un salarié : un licenciement possible, sous surveillance

On sait que le licenciement d’un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap est interdit par la loi, à travers l’article L. 1121-1 du Code du Travail.

Cependant, une absence prolongée peut mettre son entreprise dans une situation délicate. L’employeur peut donc motiver un licenciement par une absence prolongée du salarié ou encore des absences répétées, perturbant fortement le fonctionnement de l’établissement ou du service concerné. Mais, attention, rappellent en substance les hauts magistrats dans un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 24 mars dernier, cela suppose que l’employeur soit amené à acter son remplacement définitif, et à engager un autre salarié.

Et ce remplacement, précise encore la Cour, doit intervenir « dans un délai raisonnable ». Cette condition sera appréciée souverainement par les juges du fond. Autrement dit, il ne faut pas trop traîner, sinon à recruter, du moins à entamer des démarches actives en vue de le faire. Dont acte !

 

Vincent Gardy

Harcèlement : rappels concernant la charge de la preuve

La Chambre sociale de la Cour de cassation a tiré profit d’une affaire qu’elle a eu à traiter, à travers un arrêt du 7 juillet 2021, pour rappeler et préciser aussi certains points relatifs à l’établissement de la preuve d’un harcèlement moral, en l’occurrence au vu des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail (rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

La balle est au départ dans le camp du plaignant, qui doit apporter le maximum d’éléments pour prouver l’existence d’un harcèlement moral. Les hauts magistrats, à propos des éléments fournis, évoquent d’éventuels documents médicaux, et parlent de faits matériellement établis, pris dans leur ensemble. Les mots comptent, on va le voir à la suite. « Le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement. ». En l’occurrence, les juges du fond n’avaient pas été convaincus par les éléments fournis par la plaignante, qui semblaient se révéler peu fiables à leurs yeux, ou trop imprécis. Ils avaient donc rejeté la demande de la salariée. La Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille : « En statuant ainsi, sans examiner l’ensemble des faits invoqués, par la salariée au titre du harcèlement […] ni prendre en compte les avis de la médecine du travail, les alertes des représentants du personnel et le courrier de l’inspection du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Vincent Gardy

Titres-restaurant et télétravail : des jugements disparates

Les jugements se suivent et ne se ressemblent pas en matière d'attribution éventuelle de titres- restaurant au télétravailleur. Deux logiques s’opposent : le principe d'égalité de traitement entre les collaborateurs d'une même entreprise, en tout cas dans le même établissement, d’une part, et celui d’une attribution très encadrée, destinée aux salariés ne bénéficiant pas d’une cantine, d’autre part.

Nous simplifions volontairement, mais l’idée est là. La Semaine sociale Lamy du 19 avril dernier a consacré une chronique détaillée à ces affaires. Que s’est-il passé ? Des télétravailleurs de grosses structures se sont plaints – via leurs syndicats – de ne plus se voir attribuer de titres-restaurant, alors qu’ils étaient en télétravail, tandis que leurs collègues exerçant leur activité en présentiel en bénéficiaient. Rupture d’égalité donc selon eux.

Sauf qu’ils n’étaient pas placés dans la même situation, et que l’idée de base du titre- restaurant était de compenser le surcoût lié à une restauration hors du domicile. Du reste, rappellent Elise Lederlin, avocate associée et Inès Saint-Lary, avocate, du cabinet Delsol Avocats, la jurisprudence admettait ainsi qu’un employeur puisse exclure du bénéfice de titres-restaurant des salariés dont le domicile était situé dans la même commune, ou encore à moins de dix minutes de leur lieu de travail. Les employeurs peuvent tout à fait également n’attribuer de titres que pour les jours effectivement travaillés.

Une lecture différente

Et là, les chemins des juges se séparent. Le tribunal judiciaire de Nanterre demeure dans la logique initiale de la législation (ordonnance du 27 septembre 1967) et motive ainsi sa décision. « L'objectif poursuivi par l'employeur […] est de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l'impossibilité de [le faire] ».

Voilà qui est clair. Le télétravailleur, par définition, sauf s’il se trouve dans une salle de coworking distante de son lieu de travail nominal, est chez lui !

Le tribunal judiciaire de Paris, dans une analyse nous semble-t-il assez surréaliste, instaure, lui, une sorte de droit au remboursement – au moins partiel – du repas pris pendant la journée de travail, quel que soit le lieu où s’exerce l’activité. Il estime que « [les titres-restaurant] ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas ». A cet égard « les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site ». Les bras nous en tombent !

Le principe de l'égalité de traitement rappelé par le même tribunal judiciaire de Paris, et posé par l'article L. 1222.9 du Code du travail entre télétravailleurs et collègues sur site, nous semble valoir toutes choses égales par ailleurs. Attendons la suite en appel, puis en cassation !

Vincent Gardy

Covoiturage : ce n’est pas un transport en commun

Alors que l'on encourage beaucoup le covoiturage, une alternative au transport individuel dans son propre véhicule ou en commun, la Cour de cassation a tranché le positionnement précis de ce mode de locomotion dans un arrêt du 15 septembre dernier, amplement relayé par La semaine sociale Lamy du 27 septembre dernier.

En l’occurrence, un ouvrier du BTP « en grand déplacement », avait réclamé une indemnité à ce titre à son employeur qui le lui avait refusé. Aux termes de la convention collective du secteur alors en vigueur, le grand déplacement s’entend d’une impossibilité pour l’ouvrier de rejoindre son domicile chaque soir, « compte-tenu des moyens de transport en commun utilisables ». Manifestement, l’employeur avait fait valoir à l’ouvrier demandeur la possibilité d’utiliser le covoiturage. Les juges du fond lui donnent tort et le condamnent à verser la prime de grand déplacement. Les hauts magistrats les suivent dans leur analyse, en détaillant leur argumentation.

Faisant la synthèse de la définition du covoiturage à l'article L. 3132-1 du code des transports et de celui du grand déplacement, ils en déduisent que « l'effet combiné de ces textes que le covoiturage ne constitue pas un transport en commun et qu’à ce titre il n’entre pas dans la catégorie des moyens de transport en commun utilisables [visés par la convention collective] ». CQFD.

Vincent Gardy

Titres restaurant : un rappel utile !

Au fil des ans, les titres-restaurants sont devenus de la quasi-monnaie, et ont été perçus par les salariés comme un complément de rémunération. A cet égard, un récent jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre (Pôle social, 10 mars 2021) cherche à mettre un peu d’ordre dans tout cela. Ce jugement a été publié in extenso dans la livraison de La Semaine sociale La-my du 15 mars dernier.

De quoi s’agissait-il ? En l’occurrence, une fédération de syndicats de l’UES Malakoff-Humanis réclamait à l’employeur d’avoir à régulariser l’attribution d’un titre restaurant « pour chaque jour travaillé cours duquel le repas est compris dans leur horaire de travail jour-nalier et ce, depuis le 17 mars 2020 […] ».
Il s’agit, on l’aura compris, de délivrer des titres restaurant à ceux qui étaient contraints au télétravail, en vertu de l’égalité de traitement entre salariés. Le tribunal de Nanterre égrène, un à un, les éléments qui vont l’amener à statuer, à commencer par l’article L. 3262-1 du Code du travail, qui définit le titre restaurant comme un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter tout ou partie du prix d’un repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou d’un organisme agréé.
Les juges évoquent ensuite l’accord sur le télétravail conclu en 2019 au sein de Malakoff-Humanis, qui n’aborde pas la question des titres restaurants. Quant à l’ANI du 26 novembre 2020, toujours sur le télétravail, ils n’en fait pas mention non plus.
Effectivement, les directions de Malakoff Médéric et de Humanis ont bien décidé d’attribuer des titres restaurants aux salariés travaillant sur les sites non dotés d’un restaurant d’entreprise.
Ces mêmes directions ont cessé d’attribuer des titres restaurants aux salariés en télétravail. Relevant que « le titre restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale », et que « l’objectif poursuivi par l’employeur en finançant ces titres, est de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile, pour ceux qui seraient [dans l’impossibilité de le faire, le Tribunal estime – CQFD – […] que les salariés placés en télé-travail] ne peuvent donc [y] prétendre en l’absence de surcoût lié à leur restauration en dehors de leur domicile ».
Dès lors, « la messe est dite » : le Tribunal judiciaire déboute la Fédération syndicale de l’ensemble de ses demandes (la principale et les accessoires).
Mais attention, le feuilleton ne fait que commencer : attendez-vous à un rebondissement en lisant notre prochaine édition !

Vincent Gardy

Période d’essai : une durée raisonnable est une question de faits

On se souvient qu’il y a quelques années, le législateur avait assoupli les règles relatives aux périodes d’essai, essentiellement en permettant, dans certains cas, et pour les cadres, d’aller jusqu’à six mois.

Les syndicats « ouvriers » sont demeurés hostiles à cet allongement. Dans l’affaire qui nous concerne ici, un cadre dont le contrat avait été rompu à l’initiative de l’employeur pendant la période d’essai, s’est pourvu devant les juges pour faire valoir un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur quels moyens s’appuyait-il pour ce faire ?

Tout simplement sur les principes posés par la convention n° 158 de l’OIT entrée en vigueur en France le 16/03/1990. Ce texte est assez contraignant en matière de période d’essai, qui présente la caractéristique de permettre à l’employeur de mettre fin au contrat sans justification, et cependant avec un préavis d’une durée fixée en fonction de la durée de ladite période.

Néanmoins, l’article 2 § 2b de ladite convention prévoit des dérogations possibles à la durée maximale, du moment qu’elle est fixée d’avance et raisonnable. Mais qu’est-ce qui est raisonnable ?

Dans l’affaire qui nous intéresse, les juges du fond donnent raison au salarié, au visa de la convention n° 158, et « au regard de la finalité de la période d’essai dont la durée est de six mois ». L’employeur, condamné au paiement de différentes sommes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, se pourvoit en cassation. La Chambre sociale lui donne raison, estimant que « en se déterminant […] par une affirmation générale [Ndlr : la durée de six mois], sans rechercher, au regard de la catégorie d’emploi occupée, si la durée totale de la période d’essai […] n’était pas raisonnable, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale ». Autrement dit, le facteur « durée pure » n’en est un que parmi d’autres, en matière d’analyse de la validité d’une période d’essai.

Vincent Gardy

Travailleurs détachés : l’épilogue

Le feuilleton du détachement continue. Depuis plusieurs années, vous le savez, la question du détachement des salariés étrangers, issus de l'Union européenne tout particulièrement, fait l'objet de débats houleux et d'une réglementation de plus en plus stricte, visant à rendre la concurrence davantage équitable. Le dernier épisode en date est celui de l’instruction de la Direction Générale du Travail du 19 janvier dernier.

Cette instruction est abordée en détail par Marijke Granier-Guillemarre, avocate associée MGG Voltaire Avocats, dans La Semaine sociale Lamy du 1er mars dernier. De nouvelles règles sont édictées, qui visent à lutter contre la concurrence sociale, défavorable à la libre compétition des entreprises, et aussi aux travailleurs français. L’instruction du 19 janvier 2021 est le lointain débouché d’une directive européenne du 29 juillet 2018, transposée en droit interne par une ordonnance du 20 février 2019, applicable en théorie dès le 30 juillet 2020. Nous y voici donc. L’idée, comme le souligne Marijke Granier-Guillemarre, c’est que « le principe d’égalité de traitement “à travail égal, salaire égal”, doit désormais être garanti aux travailleurs détachés en France ». La différence avec la réglementation précédente, c'est qu'il ne s'agit plus seulement de faire respecter un salaire minimum, mais de
« garantir l'égalité de traitement avec les salariés employés par les entreprises de la même activité établis en France, en matière de rémunération […] ». Les avantages ou accessoires éventuellement prévus doivent être également versés aux travailleurs détachés.
Bref, sur le papier, en résumant très hâtivement, les différences deviennent minimes en termes de rémunération et d’avantages sociaux. Quant aux contrôles, ils devraient être très rigoureux et les sanctions implacables. Notons que ce que l’on peut appeler le noyau dur de la réglementation sociale française s’appliquera pendant toute la durée du détachement du travailleur étranger en France, dans la limite cependant d’un an. Au-delà d’un an, c’est a priori l’intégralité de cette réglementation qui deviendra applicable.

Le BTP particulièrement ciblé

Soulignons que le secteur du BTP est particulièrement ciblé par des dispositifs spécifiques encore plus stricts. Les pouvoirs publics semblent décidés ainsi à contribuer à réduire fortement le nombre de travailleurs détachés en France, puisque la ministre, Elisabeth Borne, a indiqué vouloir rapidement élaborer dans ce cadre un plan « de résorption sectorielle ». Marijke Granier-Guillemarre rapporte, en outre, qu'Elisabeth Borne a déploré « la persistance d'un recours massif au travail détaché dans certains secteurs, […] incompréhensible dans une période de chômage ». C'est qu'en 2019, plus de 500 000 travailleurs détachés sont venus chez nous, principalement dans le BTP, l’industrie et l’agriculture. A tout pécheur miséricorde ! Ceux qui vilipendaient « les lanceurs d’alerte » il y a quelques années, font-ils désormais preuve de bon sens ? Soyons optimistes !

Vincent Gardy

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