Relations sociales

Licenciement économique : une lecture stricte des conditions d’admission

Un arrêt récent de la Cour de cassation, commenté avec perspicacité par notre consœur Françoise Champeaux dans La semaine sociale Lamy du 27 juin, nous donne l’occasion de revenir sur les conditions d’admission d’un motif économique pour un licenciement, alors que la loi du 8 août 2016 en a profondément modifié sa définition.

Pour résumer hâtivement ce premier arrêt depuis le nouveau texte, l’interprétation qu’en font les hauts magistrats apparaît stricte, comme souvent d’ailleurs ces derniers temps. Le but de la loi de 2016 était, un peu comme celui du barème Macron, de donner plus de visibilité aux entreprises, tout particulièrement aux PME, sur leurs possibilités d’aller vers un ou des licenciements économiques, sans les voir requalifier ensuite en justice.

Le législateur a voulu établir une grille d’indicateurs, comme le recul du CA, des commandes, une dégradation de la trésorerie… qui valideraient un licenciement économique. Tout cela en tenant compte de la taille des entreprises.

Quant à l’article L. 1233-1, 1°, il prévoit que, concernant la baisse des commandes ou du CA, elle doit être établie comparativement avec la même période de l’année antérieure, sur un à quatre trimestres suivant le nombre de salariés (moins de 11 à plus de 300). La loi Travail avait rompu avec la méthode du faisceau d’indices, donnant davantage de pouvoir d’appréciation aux juges.

Dans l’affaire qui nous occupe ici, la salariée licenciée travaillait dans une entreprise de plus de 300 salariés. L’employeur avait choisi de faire valoir un recul de son CA sur quatre trimestres consécutifs, s’agissant d’un des critères possibles pour une entité de cette taille.

La salariée attaqua aux Prud’hommes. La cour d’appel donne raison à l’employeur. Elle observe que recul du CA il y a bien eu sur quatre trimestres, au moment du déclenchement de la procédure de licenciement. En l’occurrence, ils examinent les quatre trimestres de baisse de 2016, tandis que le licenciement s’est produit en juillet 2017.

Or, le CA s’est légèrement rehaussé au premier trimestre 2017. Dès lors, la Chambre sociale casse l’arrêt des juges du fond. « Le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci », donc en prenant en compte les trimestres glissants de date à date. Et comme on n’examine plus un faisceau d’indices, le tour est joué pour la plaignante.

 

Vincent Gardy

Heures supplémentaires : un contentieux grandissant

Il semble que la « barémisation Macron » des indemnités de licenciement en 2017 ait incité des salariés – parfois même des dirigeants « présumés », à faire valoir des demandes de paiement d’heures supplémentaires qui n’auraient pas, selon eux, été rémunérées.

Le phénomène du télétravail rend les choses encore plus floues. Une enquête ADP de 2021, rapportée par Charlotte Windal, avocat chez Majorelle Avocats, dans La Semaine sociale Lamy du 8 novembre dernier, indique que les salariés seront passés de 4,39 heures supplémentaires en 2019 à 6,65 heures en 2021, d’après le décompte des intéressés eux-mêmes, un décompte forcément sujet à caution.

Nous l’avons indiqué supra, même les dirigeants en arrivent à réclamer des indemnisations à ce titre. C’est que certains d’entre eux peuvent parvenir à démontrer que l’exercice de leurs responsabilités s’effectue en dehors du cadre légal ou jurisprudentiel auquel ils sont soumis, en particulier leur « habilitation à prendre des décisions de manière autonome ». Cela peut se matérialiser de différentes manières – obligations de reporting, directives de leur hiérarchie… et autres moyens de fond.

De même, les salariés au forfait annuel jours peuvent obtenir le paiement d’heures supplémentaires en justice dans deux cas, explique Charlotte Windal.

  • L’accord d’entreprise ou de branche « n’est pas conforme aux exigences légales et jurisprudentielles ».
  • Ou bien la convention n’est pas entachée de nullité, mais le salarié établit que son employeur ne la respecte pas.

Prudence et vigilance de l’employeur

Charlotte Windal procède, dans son article, à un fort intéressant rappel d’un certain nombre de grands principes de base établis par la jurisprudence en matière d’heures supplémentaires. En substance, l’employeur doit être très prudent et vigilant dans le contrôle des horaires de ses employés, en évitant par exemple une charge de travail trop importante aux salariés, et en veillant à répartir au mieux les tâches entre eux. En effet, ils pourraient faire valoir que les travaux demandés justifiaient un temps supplémentaire à l’horaire légal ou conventionnel pour les réaliser.

Si litige il y a, « la preuve des heures supplémentaires n’incombe spécialement ni à l’employeur, ni au salarié », rappelle Charlotte Windal. C’est un régime de la preuve partagée qui est privilégié par la Chambre sociale, un régime « clarifié » dans arrêt de mars 2020.

Le salarié demandeur devra amener des éléments factuels recélant « un minimum de précisions ». En réplique, l’employeur devra indiquer des éléments de réponse pertinents, soit positifs, soit négatifs, c’est-à-dire faisant tomber les arguments du salarié.

Mais il convient de se préparer en amont, afin d’éviter les contentieux, à partir des griefs qui reviennent le plus souvent dans les prétoires, car l’enjeu peut être très important.

Vincent Gardy

Barèmes Macron : la fermeté de la cour de cassation

Alors que le mandat de l’actuel président de la République s’achève bientôt, on évoque son bilan, avec ses aspects positifs ou négatifs, selon les goûts de chacun, de sa gestion. Certains lui reprochent de n’être pas allé au bout des réformes qu’il avait promises, comme celle sur les retraites, à vrai dire très discutable dans ses modalités.

Qu’en est-il de la sécurisation qu’il avait souhaité, avec son gouvernement, apporter aux employeurs, sous la pression des organisations patronales, quant aux indemnités de licenciement.

L’idée était d’éviter aux entreprises les aléas des décisions prud’homales dans ce cas de figure. La tradition est, en effet, d’indemniser le plaignant à hauteur de son préjudice réel et on arrivait souvent à un minimum de six mois de salaire, quelle que soit la situation, même en cas d’embauches relativement récentes.

Dès lors fut instauré ce qu’il est convenu d’appeler le barème Macron, fixant un minimum et un maximum d’indemnisation en fonction d’un certain nombre de critères. Naturellement, comme on pouvait le prévoir, les juges du fond firent rapidement de la résistance, souhaitant conserver leur libre-arbitre pour déterminer l’étendue réelle du préjudice. Cependant, la juridiction suprême tint bon. Un récent arrêt de la Cour de Cassation (du 15 décembre) le confirme. Au-delà du caractère spécifique de l’affaire, les hauts magistrats réaffirment en effet la nécessité d’appliquer la loi qui comporte, en particulier, la mention d’un maximum.

En la circonstance, l’employeur avait été condamné à verser à un salarié une somme nette de 63 364,20 euros, en fonction, estimaient les juges du fond selon leurs calculs, de l’application du barème Macron. Cet arrêt d’appel est cassé. Notez-le bien, le calcul donnait, selon la Chambre sociale, 63 363,20 brut. Cela peut paraître anecdotique, mais démontre l’importance que la Chambre haute attache au strict respect de l’article L. 1235.30 du code du travail susvisé.

A bon entendeur salut !

Vincent Gardy

Présomption de faute inexcusable de l’employeur : un usage peu fréquent

Un récent arrêt de la 2e Chambre civile de la Cour de cassation, commenté en détail par Luc de Montvalon, maître de conférences à l’INU Champollion d'Albi, dans La Semaine sociale Lamy du 20/09/2021, nous permet d'évoquer la faute « inexcusable » de l’employeur.  En l'occurrence, un salarié a réussi à obtenir de la Chambre haute, une présomption de faute inexcusable de son employeur, qu’on peut qualifier d'irréfragable. Dès lors, les moyens de défense de l'employeur deviennent très limités. En l'occurrence, il perd l’affaire.

De quoi s’agissait-il ? Un employé avait reçu des menaces de mort de la part de certains de ses collègues, dans un contexte de grande tension dans l’entreprise, contexte que son employeur lui avait, du reste, signalé lors de son embauche. Des menaces, il y en a malheureusement trop souvent. Dans ce cas précis, il y a eu un passage à l'acte. L’employé a été odieusement maltraité. Son agression, comme c'est logique, rappelle Luc de Montvalon, a été reconnue comme maladie professionnelle. En outre, assignation est faite au civil pour obtenir réparation de l’employeur sur le fondement précisément d’une faute inexcusable alors qu’il avait été en la circonstance alerté d’un danger par le salarié. Cela aurait pu être par le truchement d'un représentant syndical ou du personnel. La cour d'appel de Toulouse avait rejeté les demandes, tant principale que subsidiaire, du salarié.

Quant à la demande principale, le rejet était dû à une question de forme, les juges du fond estimant que la lettre du salarié ne constituant pas une alerte, stricto sensu. Pour ce qui est de la demande subsidiaire, la cour d’appel faisait valoir que la conscience du danger par l’employeur n’était pas établie, s’agissant d’un risque d’agression physique sans rapport avec le poste qu’occupait la victime.

L’employeur doit s’engager activement dans la prévention des risques

 

Quoi qu’il en soit donc, sur pourvoi de cette dernière, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel, estimant que les faits qu’elle a relevés auraient dû les inciter à faire bénéficier le salarié de droit d’une faute inexcusable de l’employeur. Cet angle d’attaque des salariés est devenu rare, car la jurisprudence a fait évoluer le concept
« classique » de faute inexcusable de l’employeur, de telle sorte que la présomption est moins nécessaire qu’auparavant pour obtenir gain de cause. Luc de Montvalon cite à cet égard un arrêt de la même 2e Chambre civile à propos du fondement de la faute inexcusable, qui élargit son champ d'application, puisqu'elle parle désormais de
« l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé », et non plus « d'obligation de sécurité de résultat ». Cet arrêt de 2020 poursuivait ainsi sur la lignée des Arrêts amiante de 2002. Dès lors, explique Luc de Montvalon : « la frontière entre les faits inexcusables présumés et prouvés était devenue plus ténue ».

« Dans ces conditions, conclut-t-il, il n'est pas indispensable de présumer que l'employeur est resté passif face à une alerte donnée par un de ses salariés. Il suffit de démontrer qu'il [ne s'est pas engagé] activement dans une démarche de prévention des risques professionnels [pour caractériser la faute] ».

Vincent Gardy

Entretien d’évaluation : attention aux comptes rendus

L’entretien d’évaluation a des objectifs très précis, à savoir faire progresser le salarié et bien sûr favoriser une collaboration efficace. Un arrêt récent de la Cour de Cassation
(2 février 2022) invite les managers à la prudence dans l’élaboration de leurs comptes rendus établis à cette occasion.

En l’occurrence, un employeur s’est pris les pieds dans un licenciement qui fit suite à un compte rendu d’évaluation, lequel a été analysé par les juges du fond comme un avertissement. A partir de là, en vertu de l’adage « non bis in idem », l’employeur se trouvait donc avoir sanctionné deux fois – d’abord par un avertissement puis par un licenciement, la même faute.

Et la cour d’appel de le condamner pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans son recours auprès de la Cour de cassation, le défendeur faisait valoir que le compte rendu incriminé, s’il faisait effectivement état de griefs vis-à-vis du salarié, ne traduisait pas une volonté de le sanctionner, et ne constituait pas une mesure disciplinaire.

Cependant, la Cour de cassation ne le suit pas dans son raisonnement. Relevant les mots très durs de l’employeur vis-à-vis du salarié, et une invitation « impérative et comminatoire » à changer complètement d’attitude, les hauts magistrats donnent raison aux juges du fond qui avaient analysé le texte comme un avertissement constatant un comportement fautif.

Dès lors, bien sûr, les mêmes faits ne pouvaient conduire à une autre sanction, en l’occurrence un licenciement. CQFD.

Vincent Gardy

Harcèlement : rappels concernant la charge de la preuve

La Chambre sociale de la Cour de cassation a tiré profit d’une affaire qu’elle a eu à traiter, à travers un arrêt du 7 juillet 2021, pour rappeler et préciser aussi certains points relatifs à l’établissement de la preuve d’un harcèlement moral, en l’occurrence au vu des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail (rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

La balle est au départ dans le camp du plaignant, qui doit apporter le maximum d’éléments pour prouver l’existence d’un harcèlement moral. Les hauts magistrats, à propos des éléments fournis, évoquent d’éventuels documents médicaux, et parlent de faits matériellement établis, pris dans leur ensemble. Les mots comptent, on va le voir à la suite. « Le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement. ». En l’occurrence, les juges du fond n’avaient pas été convaincus par les éléments fournis par la plaignante, qui semblaient se révéler peu fiables à leurs yeux, ou trop imprécis. Ils avaient donc rejeté la demande de la salariée. La Cour de cassation ne l’entend pas de cette oreille : « En statuant ainsi, sans examiner l’ensemble des faits invoqués, par la salariée au titre du harcèlement […] ni prendre en compte les avis de la médecine du travail, les alertes des représentants du personnel et le courrier de l’inspection du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Vincent Gardy

Lanceur d’alerte : un équilibre parfois instable

Toujours délicat pour un salarié de dénoncer un comportement illicite de sa direction ou de collègues. De plus, il se trouve parfois incriminer une personne ou une pratique à tort. Et la menace de licenciement n'est pas là.

Il semble que c'est ce qui est arrivé à un salarié, dont l’affaire est arrivée en cassation et a valu un arrêt rendu le 19 janvier dernier, un arrêt relevé en particulier par La semaine sociale Lamy du 24/01.

De quoi s’agissait-il en substance ? Le collaborateur d’une compagnie de commissaires aux comptes avait cru déceler une pratique prohibée par le code de déontologie d’une profession très réglementée, où l’on bascule vite dans le pénal. Il avait saisi l’organisme professionnel représentatif de cette supposée infraction, après qu’il en eût discuté en vain avec son employeur. Suite à quoi, il fut licencié. Naturellement il alla devant les Prud’hommes. Dans l’affaire, il semble que les faits supposés illicites se soient avérés faux ou inexacts.

Les juges du fonds relèvent que le salarié n’avait pas connaissance « de la fausseté des faits qu’il dénonçait, que [sa] mauvaise fois n’était pas établie » Dès lors, ils déclaraient le licenciement nul. La chambre haute confirme l’arrêt d’appel.

Le salarié a le droit de signaler « des actes illicites constatés sur son lieu de travail ». Dès lors, le licenciement d'un salarié qui a relaté ces faits doit être frappé de nullité. Cela, du moment qu'il s'est exprimé de bonne foi et surtout, sans doute quand les manquements supposés seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement. Peu importe, en l’occurrence, que les faits se soient révélés faux par la suite.

Vincent Gardy

Covoiturage : ce n’est pas un transport en commun

Alors que l'on encourage beaucoup le covoiturage, une alternative au transport individuel dans son propre véhicule ou en commun, la Cour de cassation a tranché le positionnement précis de ce mode de locomotion dans un arrêt du 15 septembre dernier, amplement relayé par La semaine sociale Lamy du 27 septembre dernier.

En l’occurrence, un ouvrier du BTP « en grand déplacement », avait réclamé une indemnité à ce titre à son employeur qui le lui avait refusé. Aux termes de la convention collective du secteur alors en vigueur, le grand déplacement s’entend d’une impossibilité pour l’ouvrier de rejoindre son domicile chaque soir, « compte-tenu des moyens de transport en commun utilisables ». Manifestement, l’employeur avait fait valoir à l’ouvrier demandeur la possibilité d’utiliser le covoiturage. Les juges du fond lui donnent tort et le condamnent à verser la prime de grand déplacement. Les hauts magistrats les suivent dans leur analyse, en détaillant leur argumentation.

Faisant la synthèse de la définition du covoiturage à l'article L. 3132-1 du code des transports et de celui du grand déplacement, ils en déduisent que « l'effet combiné de ces textes que le covoiturage ne constitue pas un transport en commun et qu’à ce titre il n’entre pas dans la catégorie des moyens de transport en commun utilisables [visés par la convention collective] ». CQFD.

Vincent Gardy

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