Relations sociales

Loi Travail : 127 décrets d’application attendus

Après plusieurs mois de débats, de manifestations, de controverses, la loi Travail, modifiée profondément au fil de l’eau, a enfin pris vigueur, le 8 août dernier. Elle a passé sans encombres le cap du Conseil constitutionnel, qui en a préservé l’essentiel. On attend maintenant 127 décrets d'application...

Nous ne prétendons pas ici vous résumer ni vous commenter cette loi, qui compte 123 articles, tenant sur une centaine de pages. Nous avons voulu simplement en faire ressortir pour vous les quelques éléments essentiels qui concernent la majorité d’entre vous.

Une des idées principales du projet était, on le sait, de progressivement transférer les négociations au niveau de l’entreprise et non plus de la branche, ce que l’on appelle la subsidiarité. L’accord collectif ferait droit seulement en cas d’absence de "protocole" au niveau de l’entreprise. Cependant, tous les domaines ne sont pas touchés par cet aménagement, loin de là. C’est essentiellement la durée du travail qui est ciblée.
Dans les entreprises dotées de représentations syndicales, les règles de validation des accords ont été modifiées. Désormais, les syndicats « majoritaires » n’ont plus de pouvoir d’opposition. En revanche, pour être valides, les accords doivent être signés par un ou des syndicats ayant obtenu plus de 50% (et non plus 30%) des suffrages exprimés au dernier tour des élections. Des référendums dans l’entreprise seront également possibles dans certains cas, et sous certaines conditions.

Des motifs économiques élargis

Autre point phare de la loi, l’élargissement et la prévision plus fine des motifs de licenciement économique dans les PME. Nous ne rentrerons pas dans le détail. Disons que le texte prévoit une batterie d’indicateurs impliquant la baisse du CA ou des commandes, la perte d’exploitation, la dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, voire tout autre élément tangible.
La durée des phénomènes en question doit être appréciée sur un ou plusieurs trimestres, en fonction de la taille des entreprises. Le CPF, après deux petites années d’existence, intègre le CPA, Compte personnel d’activité, qui regroupe également le compte personnel de prévention de la pénibilité et le compte d’engagement citoyen (temps passé à des actions de volontariat et bénévoles au sens large). Parallèlement, le CPF sera ouvert, à compter du 1er janvier 2017, aux non-salariés (travailleurs indépendants, conjoints-collaborateurs).
Du côté du harcèlement, du nouveau également. Les modalités de preuve pour les cas de harcèlement sexuel ou moral se rapprochent de celles exigées en matière de discrimination. Désormais, le plaignant devra « présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement » et non plus « établir des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement ». La jurisprudence affinera certainement la lecture de ce nouveau texte, qui a pour but de faciliter la démarche du plaignant. Quant aux agissements sexistes au travail, la loi fait peser sur l’employeur une obligation – encore une – de prévention. Jusqu’où ira-t-on ?
Notons enfin dans ce chapitre que la loi étend aux licenciements jugés discriminatoires ou résultant d’un harcèlement sexuel ou lié à la maternité, des indemnités pour licenciement sans cause réelle ou sérieuse. Le salarié obtiendra alors une indemnité au moins égale à ses six derniers mois de salaire, sauf s’il demande – cas improbable – sa réintégration dans l’entreprise.

Le détachement dans le collimateur

Le législateur a profité de la loi Travail pour durcir encore les textes contre le détachement illégal, en renforçant les obligations pesant sur le maître d’ouvrage et le prestataire, avec amendes administratives à la clé, fermetures administratives de sites industriels ou de chantiers – où ont été commises les infractions incriminées.

Vincent Gardy

Rupture conventionnelle : décision logique

 

Licenciement : attention aux moyens de preuve !

 

Les dirigeants d’entreprises ne lisent pas tous suffisamment notre rubrique Droit pratique social, à défaut de publications beaucoup plus spécialisées, comme la Semaine sociale Lamy. Justement cette dernière, dans sa livraison du 9 mai dernier, rapportait un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans, du 12/01/2016, qui va tout à fait dans le sens de la jurisprudence, pérenne dans ce domaine depuis de nombreuses années.
A savoir qu’un employeur a beau avoir de bonnes raisons de licencier un collaborateur, encore faut-il user de précieuses limites.
En la circonstance, un employeur avait cru pouvoir déceler qu’un de ses collaborateurs n’arrivait pas tous les jours dans un état normal. Soupçonnant qu’il soit sous l’emprise de stupéfiants, il le pria à une certaine date de se rendre à Paris dans un véhicule de société, doté d’un GPS. Ce faisant, il alerta la gendarmerie à ce propos. Laquelle gendarmerie contrôla fort à propos l’individu en question qui fut convaincu de conduite sous l’emprise de stupéfiants, et se vit retirer son permis.
Et l’employeur de le licencier… le tour était joué, pensait-il. Pas si simple ! Car il avait oublié quelques règles de base au préalable. En effet, le règlement intérieur doit préciser les moyens de contrôle, dont se fait fort l’employeur. En l’occurrence, le collaborateur n’avait pas été informé que le véhicule était doté d’un dispositif de géolocalisation, encore moins que les données qui en seraient issues pourraient être utilisées à son encontre.
Dès lors, le moyen de preuve n’est pas licite, car il avait été obtenu à la suite d’un contrôle qui, suivant les attendus de la Cour d’appel rapportés par la Semaine sociale Lamy, « a été provoqué de manière déloyale par l’employeur […] ».
Un employeur prévoyant en vaut deux !

Vincent Gardy

Harcèlement moral

 

Harcèlement moral

 

Le harcèlement moral est un phénomène redoutable, à la fois pour les salariés qui en sont victimes que pour les employeurs dont les commettants sont suspectés de s’y livrer. Les patrons se trouvent pris entre le marteau et l’enclume. S’ils sanctionnent ce dernier, ils seront probablement assignés aux Prud’hommes, de même le seront-ils par la « victime » s’ils n’agissent pas. Nous nous placerons là, pour faire le point sur cette question, du côté des problématiques soulevées par la question de la personne harcelée.

 

Rappelons tout d’abord que l’employeur a une obligation générale de sécurité de résultat. Cela est vrai en matière de harcèlement moral avéré. Elle ouvre droit, du simple fait qu’elle n’a pas été tenue, à une réparation. Cette réparation peut être allouée à un triple titre, respectivement ceux résultant des dommages causés, du manquement à l’obligation de prévention, ou encore au préjudice consécutif à la perte d’emploi.

Cette perte d’emploi est assez fréquente en cas de harcèlement moral, soit en raison d’un licenciement du salarié concerné pour inaptitude, de sa prise d’acte, ou d’une rupture conventionnelle. La rupture conventionnelle est à prendre avec des pincettes, puisque le salarié est susceptible ultérieurement  de plaider que son consentement a été vicié en raison d’un état de santé mentale souvent altéré.

Quoi qu’il en soit, à la barre des tribunaux, le salarié devra présenter des éléments tendant à prouver qu’il y a bien eu harcèlement. A cet égard, il devra apporter des éléments à l’appui de son argumentation, relatifs à la répétition des actes de harcèlement, ainsi qu’aux conséquences supposées.

Un certificat médical ne peut évidemment établir de lien entre un état de santé défaillant et une cause interne à l’entreprise. Mais il est important qu’il figure dans le dossier. S’il est établi par le médecin du travail interne à l’entreprise, il aura sans doute plus de poids, puisque le praticien a davantage connaissance du terrain où exercent le salarié et ses harceleurs putatifs.

 

Une suspicion de harcèlement moral

 

Le juge judiciaire va, se fondant sur les éléments de fait, déterminer si, à ses yeux, il existe une suspicion de harcèlement moral. Lorsque c’est le cas, il va inverser la charge de la preuve, une fois les faits exposés par le salarié. Il revient alors à l’employeur de présenter des arguments étayant l’absence de harcèlement moral. Oui, mais quid de la situation où il a tout fait pour résoudre le problème, limité qu’il est parfois par les contraintes liées à l’organisation du travail ou à la nécessaire protection de ses commettants présumés - mais seulement présumés, harceleurs !

Hervé Gosselin, ancien conseiller à la Chambre sociale de la Cour de cassation, se montre d’emblée assez pessimiste pour l’employeur dans la Semaine sociale Lamy du 25 janvier dernier. D’une part, il rappelle que « le harcèlement moral peut être caractérisé indépendamment de la volonté de son auteur ». Ce qui évidemment ouvre un large champ aux réclamations. D’autre part, la seule prévention n’exonérera que difficilement  l’employeur. En effet, analyse Hervé Gosselin « […] lorsque le harcèlement moral est intervenu […] la prévention a été à l’évidence défaillante ».

Cependant, le patronat peut compter sur une plus grande souplesse récente de la Cour de cassation en matière d’obligation de sécurité de résultat. Mais il faudra qu’il agisse vite et saisisse tous les organes internes de la société (médecin, du travail, CHSCT…). Une course de vitesse qu’un employeur a gagnée devant la Chambre Haute le 3 décembre 2014. Les hauts magistrats concluent cet arrêt en indiquant « […] la cour d’appel a pu […] déduire [de ses diligences] que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité ». Et pourtant, le résultat n’ était pas là.

Gageons que la jurisprudence va encore évoluer ces prochaines années, car la ligne semble devenue fluctuante dans ce domaine.

 

Vincent Gardy

Rupture conventionnelle : le vent en poupe

 

La mobilité du salarié

 

Un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (23/10/2015) confirme la levée progressive des freins juridiques à la mobilité professionnelle des salariés. En la circonstance, l’expression maladroite d’un avenant à la convention de la métallurgie établi en 1979 a valu un imbroglio judiciaire aboutissant au terme de huit ans de procédure à l’arrêt sus-nommé. Cette affaire est savamment commentée par Nadia Gssine, docteur en droit, juriste senior au cabinet Vivant Chiss dans la Semaine sociale Lamy du 25 janvier dernier. Le passage qui était en débat était le suivant : faisant allusion à un changement de lieu de travail, il stipulait : « […] Dans le cas ou cette modification ne serait pas acceptée par l’intéressé, elle sera considérée comme une rupture du contrat du fait de l’employeur et réglée comme telle ».

En 2007, trois salariés d’une entreprise du ressort de cette convention de la métallurgie se voient mutés de Rungis à Paris. Ils refusent de s’y rendre et continuent de se présenter à Rungis. Un contentieux suit.

La question principale réside dans le fait de savoir si la rupture prononcée par l’employeur est licite et si elle peut donner ou pas lieu à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En renvoyant l’affaire devant une autre Cour d’appel en 2012, la chambre sociale semble interpréter l’expression « du fait » comme un élément de preuve d’une responsabilité de l’employeur en quelque sorte fautive.

La Cour d’appel de renvoi ne l’entend pas de cette oreille. Après un nouveau recours, l’Assemblée plénière tranche, peut-on dire, dans son sens. Elle interprète l’expression « du fait » à la lumière des textes et de la jurisprudence des années 70-80. Selon elle, cela veut simplement dire que, en cas de refus du salarié, l’employeur doit le licencier – ce qui exclut a priori la rupture conventionnelle, sans pour autant qu’il puisse demander des dommages et intérêts de ce fait. Autrement dit, le salarié n’est pas fautif, mais son licenciement est en quelque sorte légitime.

L’Assemblée plénière inscrit cet arrêt dans un contexte plus favorable à la mobilité professionnelle. Nadia Gssine rappelle que le principe de la mobilité du salarié est retenu par la Cour de cassation depuis un arrêt du 4 mai 1999. La mention du lieu de travail dans le contrat n’est qu’indicative, et donc susceptible de modification, sauf bien sûr à avoir couché par écrit une clause spécifique stipulant son exclusivité. A cet égard, la mutation dans un même secteur géographique (notion à cerner évidemment) ne pose aucune difficulté.

Mais la jurisprudence va plus loin désormais. Nadia Gssine évoque à cet égard plusieurs arrêts récents ou relativement récents : l’admission d’une clause géographique s’inscrivant dans un contexte national, d’une affectation occasionnelle hors du lieu habituel de travail acceptée, de la nature itinérante d’un métier, hors même la lettre de contrat… Le tout étant quand même strictement bordé.

Discrimination interdite sauf si…

 

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