Relations sociales

Prime de pouvoir d’achat : une version moins attrayante

Suite à la crise des gilets jaunes, le gouvernement a instauré ou avancé, début 2019, des mesures de renforcement du pouvoir d’achat. Il avait également demandé aux entreprises de mettre la main à la poche en versant une « prime de pouvoir d’achat »  assortie d’exonération sociales et fiscales. Cette incitation avait bien fonctionné, de sorte que de nombreuses primes ont été versées.

Le gouvernement va reconduire ce dispositif en 2020 selon des modalités proches de celles de l’an dernier sur de nombreux items : montant maximal, délimitation des bénéficiaires, plafond d’exonération.

Cependant, et c’est là le hic, la prime ne pourra s’effectuer que dans le cadre de l’existence d’un accord d’intéressement, qui devra être conclu avant le 30 juin 2020, date limite de son versement cette année. Pour limiter l’effet anxiogène de cette exigence, cet accord pourra ne porter que sur une seule année, au lieu de trois habituellement. Nul doute qu'on va cependant y regarder à deux fois dans les PME de moins de 50 salariés avant de se lancer dans ces complications. La prime pourra être mise en place par accord d’entreprise ou DUE (Décision unilatérale de l’employeur). Si on veut éviter une reconduite sine die, il convient de bien préciser dans l'accord que le versement ne concerne que l'année en cours, et est complètement distinct d'autres primes éventuellement déjà existantes. La prime de pouvoir d'achat ne peut se substituer à des éléments existants ou à venir. Si l’on fait attention, le jeu – de motivation des salariés à des coups allégés – peut en valoir la chandelle. Rappelons que cette prime peut uniquement être allouée à des salariés rémunérés au maximum à trois fois le SMIC, en considérant le total des douze mois écoulés avant son versement.

Vincent Gardy

Clause de non-concurrence : durcissement de la jurisprudence ?

Le libre exercice d'une activité professionnelle est un principe de base de notre droit. Cependant, il peut être limité contractuellement, en particulier dans les emplois sensibles ou commerciaux. Les restrictions ont pour contrepartie une indemnisation pécuniaire. Et surtout elles doivent être raisonnablement bordées dans le temps et dans l’espace.
A cet égard, un arrêt récent de la cour de cassation (Chambre sociale 03/07/2019), semble minorer la portée de cette analyse habituelle en demandant aux juges du fond de vérifier la réalité de l'obstacle fait au libre exercice de sa profession pour le demandeur ou la demanderesse.
En l'occurrence une manager d'une boutique de luxe avait vu, par ricochets successifs liés à des mutations, sa clause de non-concurrence étendue à des zones mondiales très larges.
A la suite de sa démission et d’un désaccord avec son employeur quant au calcul de l’indemnité compensatrice de sa clause de non-concurrence, elle a attaqué en justice sur le chef d’une prétendue nullité de ladite clause.Les juges du fond accueillirent favorablement sa demande, relevant que les zones géographiques très étendues stipulées – Asie, Europe, Etats du Pacifique – représentaient une restriction excessive à la liberté du travail. Mais la Chambre sociale ne suit pas ce raisonnement. Elle estime que les juges du fond auraient dû vérifier si, « la salariée se trouvait (dès lors) dans l'impossibilité d'exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle ». Et les hauts magistrats de casser l’arrêt d’appel.Cette décision nous laisse dubitatifs. En tout cas, elle s’inscrit dans une longue série d’assouplissements accordés aux employeurs.

Vincent Gardy

Plafonnement des indemnités de licenciement, la résistance de certaines cours d’appel

Les autorités ont voulu fluidifier le parcours prud’homal, en écartant les demandes mal fondées. Cela a abouti à une baisse d’environ 10 % des contentieux soumis, car les dossiers, plus généralement transmis par des avocats, ou des représentants syndicaux, sont plus complexes à mouler qu’avant. Le coût pour le demandeur en est donc augmenté.Pourtant, le temps moyen d’attente d’un jugement demeure relativement stable, autour de 14 mois, car les affaires qui demeurent sont souvent complexes. Les contentieux portent en très grande partie (92 %) sur les ruptures des contrats de travail. A cet égard, si le plafonnement des indemnités de licenciement pour cause injustifiée a pu dissuader les salariés dont le nombre d'années d'ancienneté et/ou le salaire ne sont pas élevés de lancer une procédure aux Prud’hommes, il n’en est pas de même de ceux qui, à l’inverse, bénéficiaient de rémunérations importantes et/ou de nombreuses années de collaboration.Ceux là ont les moyens de se procurer de bons avocats, et cherchent la faille, qu'ils arrivent assez souvent à trouver. En effet, les juges du fond (CPH et cours d'appel), sont encore souvent réticents à accepter l’encadrement des indemnités, se fondant sur la juste indemnisation du préjudice, qu’ils estiment ne pas toujours correspondre au plafond fixé par la loi. Et cela, malgré l’avis qui paraissait déterminant de l'assemblée plénière de la Cour de cassation. Certains juges du fond s'appuient encore sur des dispositions extra-nationales (Convention européenne des droits de l’homme…) pour résister aussi aux Hauts magistrats. D’autres cours d’appel suivent en revanche la jurisprudence définie par la cour de cassation. Du coup, tout dépend du lieu où les affaires sont jugées !

V. G.

Dénonciation des infractions routières par l’employeur : une évolution

Depuis le 1er janvier 2017, on sait que l’employeur a l’obligation de dénoncer tout salarié qui a commis une infraction en roulant dans un véhicule, acheté ou loué par son entreprise.La non-dénonciation par l’employeur fait encourir au représentant légal une amende forfaitaire de quatrième classe, certes d’un montant pas très élevé. Cependant, dans certaines circonstances, par exemple pour éviter une perte de permis très préjudiciable à un collaborateur qui a absolument besoin de son véhicule, la tentation peut être grande d’éviter la dénonciation, en réglant les deux amendes – routière d’une part, mais aussi forfaitaire – pour ne pas avoir à divulguer le nom du conducteur.Alors, qu’en est-il des pratiques un an après la publication de la loi, à fin 2017 ? Le rapport d'activité de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions fait état d'une très notable augmentation du taux de désignation des conducteurs, passé de 26 % à 83 %. 

Quant au nombre d'infractions commises par les conducteurs au volant d’un véhicule fourni par l’entreprise, il a baissé de 9,4 %. Pour ce qui est de la dénonciation des conducteurs, l’obligation pour le représentant moral de s’acquitter de l'amende forfaitaire a certainement constitué une incitation puissante. Or, le 11 décembre 2018, comme le rapporte Steven Roche, juriste, Fidere Avocats, docteur en droit, dans La semaine sociale Lamy du 01/4/2019, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a admis que la non-dénonciation puisse être concurremment imputée à l’entreprise–personne morale.
Cela pourrait-il pousser certains employeurs à revenir sur leur comportement « vertueux » ?Steven Roche ne le souhaite évidemment pas. Il ne le pense pas non plus, car les entreprises fautives de payer régulièrement les amendes forfaitaires vont être pistées. Le strict rappel de la procédure de dénonciation va être encore davantage exigé à l’avenir, estime le juriste, prenant pour exemple un arrêt très récent de la Cour de Cassation (15/01/2019), à propos d’une société dont le gérant, lui-même conducteur en infraction, s’était acquitté personnellement de la contravention, sans que sa société, personne morale, ne l’ait désigné à la police.

CNIL : nombreuses plaintes dans le domaine SRH

Les plaintes enregistrées auprès de la CNIL ont connu une forte hausse – de 32 % – en 2018 par rapport à 2017. Cette progression devrait se poursuivre en 2019. En cause essentiellement l'effet du RGPD. Cependant, 16,5 % du total des plaintes traitées par la commission nationale informatique et libertés relève des RH. Sont visés en particulier la vidéosurveillance jugée excessive, la géolocalisation ou encore les refus de communication du dossier professionnel.Dans le rapport de la CNIL, on constate également des plaintes liées aux nouvelles technologies, qui rendent la surveillance des salariés plus efficace, mais tend à empiéter sur la confidentialité et la préservation de l’espace privé.Parmi les tendances récentes, les rapporteurs mettent en exergue « le visionnage à distance d’images issues des dispositifs vidéo, notamment par l'employeur, depuis son ordinateur ou sa tablette, avec un risque de surveillance excessive des salariés ». La CNIL a fait remonter les informations au Ministre du Travail en décembre 2018, l’alertant sur les risques ainsi encourus par ses collaborateurs à cet égard.

Géolocalisation : le tour de vis

La géolocalisation est très en vogue. C’est vrai qu’elle est bien pratique pour les livreurs, par exemple, ne serait-ce d’ailleurs que pour des raisons de sécurité. Néanmoins, la tentation est grande pour les employeurs d’utiliser cette technique pour surveiller de très près les parcours et le temps de travail des collaborateurs concernés.
La Chambre sociale, dans un arrêt du 19 décembre dernier, semble vouloir donner un tour de vis supplémentaire, et assez sévère, à cette utilisation.
Sans rentrer dans le détail de l’affaire, qui oppose une fédération professionnelle et des syndicats, nous retiendrons de cet arrêt de cassation, l’attendu suivant,
rendu au visa de l’article L. 1121-1 du code du Travail. Rappelant que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnés au but recherché », les hauts magistrats ajoutent – élément à souligner – que la géolocalisation « […] n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen […], et [s’il] ne peut être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace […]. De plus, précise la Chambre sociale, « [la géolocalisation] n’est pas justifiée si le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail. »
En l’occurrence, les juges du fond n’avaient pas vérifié s’il existait un moyen alternatif à la géolocalisation pour vérifier la durée de travail des salariés. Dès lors, la cassation était encourue. On remarque donc la forte réticence de la chambre haute vis- vis des dispositifs de géolocalisation. Le parcours de l’employeur est, en effet bordé potentiellement par la nécessité qu’il les utilise, faute d’alternative – mais laquelle ? – et l’impossibilité de la mettre en place pour les cadres.
Un vrai tour de vis, nous semble-t-il.

Uber touchée à son tour

La Cour d’appel de Paris a emboîté le pas à la cour de cassation, dans une affaire concernant cette fois un prestataire d’Uber (C. appel 10/01/2019). Privé de sa collaboration par le géant américain qui avait fermé son accès à l’application en 2016, et se trouvant donc sans travail, le chauffeur qui avait un statut d’autoentrepreneur, a traduit Uber aux Prud’hommes.
Sans surprise, le conseil des Prud’hommes de Paris avait excipé de son incompétence, l’affaire ne concernant pas un contrat de travail. L’intéressé a formé un contredit auprès de la Cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel a renvoyé l’affaire devant le conseil des Prud’hommes, à partir d’une argumentation très élaborée. Les attendus sont analysés en détail dans la Semaine sociale Lamy du 21 janvier par Thomas Pasquier, professeur à l’Institut du droit à l’université Lumière Lyon 2, directeur de l’Institut d’étude du Travail de Lyon.
Nous ne rentrerons pas ici dans les détails de l’analyse. Néanmoins, parmi les éléments essentiels retenus par la Cour d’appel, et qui l’ont amenée à requalifier un contrat de prestations de services en contrat de travail, nous retiendrons les suivants :
Tout d’abord, l’absence de clientèle propre, puisque les passagers transportés sont les clients d’Uber et non ceux du chauffeur. En deuxième lieu, le contrôle permanent de l’intéressé, assorti de possibilités de sanctions. Ensuite, l’impossibilité en pratique pour lui d’apporter ses services à un concurrent d’Uber. Thomas Pasquier envisage, par ricochet, la possibilité pour la justice d’obliger « l’employeur » à respecter la loi relative au temps de travail.
Affaire à suivre, car Uber s’est pourvue en cassation.

Vincent Gardy

Rupture conventionnelle : soyez prudents quand même !

L'on a souvent écrit dans ces colonnes que la cour de cassation se montrait très souple vis-à-vis des employeurs dans le cadre de conflits relatifs à une rupture conventionnelle. Il semble que les hauts magistrats veuillent tenir compte de l'esprit de la ANI (Accord national interprofessionnel de 2008), qui était précisément d’assouplir les conditions de ruptures consensuelles.Cela étant, la Chambre haute vient de rappeler dans deux arrêts qu’il fallait tout de même respecter les règles. Ce qu'on peut interpréter comme un tour de vis pour freiner certaines dérives, car les juges du fond avaient tendance à se montrer très laxistes.Dans deux arrêts du 3 juillet 2019, la Chambre sociale remet les pendules à l'heure : tout n'est pas permis. Ces deux affaires voyaient un ex salarié revendiquent la nullité de la rupture conventionnelle en faisant valoir des vices de forme : oubli de la mention qu’un exemplaire de la convention a été remis à chacune des parties dans un cas; de la signature de l’employeur sur celui remis au salarié dans l’autre cas.Les juges du fond – pour résumer – avaient estimé que le contexte faisait présumer que le consentement du salarié était clairement consenti, et qu’il avait disposé de tous les éléments d’information nécessaires.La cour de cassation ne les suit pas dans leur raisonnement et casse les deux arrêts d’appel, en se fondant dans les deux affaires sur les articles L.1237-11 et L.1237-14 du code du travail, et au surplus sur l'article L. 1237-14 dans la deuxième d'entre elles.On constate ainsi que les hauts magistrats remettent au goût du jour les exigences de forme…

Vincent Gardy

La rupture conventionnelle encore consolidée

La Cour de Cassation vient de confirmer dans un récent arrêt du 23 janvier sa position très pragmatique vis-à-vis de la rupture conventionnelle. Ce dispositif mis en place par les partenaires sociaux en 2008 à l'occasion d'un ANI (Accord national interprofessionnel) connaît un succès grandissant.
Et les hauts magistrats semblent vouloir permettre que ces ruptures « donc » entre employeurs et employés ne soient pas entravées par une jurisprudence trop contraignante.
En la circonstance, une salariée avait signé une rupture conventionnelle avec son employeur, dûment homologuée par la Direccte. Elle avait par la suite intenté une action contre son ancienne entreprise au titre d’un vice de consentement. Mais pas n’importe lequel ! Un fait de harcèlement moral. Les juges du fond constatent que ce fait de harcèlement moral est avéré. Se fondant sur l’article L. 1152–3 du code du travail, ils rappellent que « toute rupture du contrat intervenue en violation des dispositions protectrices sur le harcèlement [est] est nul ». Dès lors, estiment-il, nul besoin, selon eux, d'avoir à prouver un vice de consentement.La Chambre sociale ne voit pas les choses de la même façon. La salariée eût dû prouver un vice du consentement, au visa de l’article L. 1237–11 du code du travail, car, comme le souligne en substance notre consœur Marjorie Caro dans La semaine sociale Lamy du 11 février dernier, [dès lors] un harcèlement moral n’induit pas nécessairement un vice du consentement; l’erreur, le dol, ou la violence doivent être démontrés.Cette décision de cassation s’inscrit, souligne Marjorie Caro, dans la lignée d’un arrêt du 30/01/2013 de la cour de cassation à l'occasion duquel le conseiller Hervé Gosselin indiquant que le harcèlement moral n'impliquait pas ipso facto un vice du consentement.Du coup, on revient au droit commun. C'est au salarié d'apporter par tous moyens la preuve du vice du consentement et dès lors que le harcèlement moral y a conduit. C’est-à-dire qu’il y a eu violence morale (cf. rapport annuel 2013 de la cour de cassation). Bon courage !

Vincent Gardy

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