Relations sociales
Obligation de sécurité : la toile s’étend
La pandémie actuelle est venue rajouter une couche supplémentaire aux obligations qui pèsent sur l'employeur, en matière sanitaire en particulier. D’autant que l’étau se resserre à nouveau sur lui. Alors que la notion d’obligation de sécurité de résultat peut paraître excessive, en ce qu’elle semble admettre la responsabilité de l’entreprise, même si elle a fait tout son possible pour éviter le risque.
C’est pourquoi la Chambre sociale de la Cour de cassation avait apporté des nuances, dans un arrêt Air France de 2015, rappelé dans La semaine sociale Lamy du 23 novembre par Laurent Willcocx, chercheur post-doctoral à l’institut François Gény, université de Lorraine : « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121–1 et L. 4121–2 du code du travail. »
Évaluer les risques et pas seulement les prévenir
Mais voilà, patatras, le couperet semble retomber sur la tête des patrons, avec deux arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 8 octobre, analysée d'une manière très détaillée par Laurent Willcocx, dans l'édition de La semaine sociale Lamy précitée.
La première affaire concernait un conducteur de bus victime d'une agression reconnue comme arrêt de travail. La seconde portant sur un ouvrier souffrant d’une maladie reconnue comme professionnelle. Dans ces arrêts, les hauts magistrats de la Chambre sociale estimaient que « le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection […] a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l’employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ». Vaste programme ! Surtout pour les cas d’agression ! Chaque personne agressée dans la rue pourrait porter plainte contre l’Etat pour n’avoir pas pris les mesures qui s'imposaient pour l'éviter. Quoi qu'il en soit, c'est vrai pour le Covid 19 comme pour les autres dangers courus par les employés, l'employeur devra veiller à bien évaluer les risques, pas seulement à les prévenir… Les juges lui en seront certainement gré en cas de conflit.
La nouveauté apportée dans les arrêts de la 2e Chambre civile du 8 octobre réside dans une approche différente de l’obligation de sécurité – qui n’est plus de résultat – qui tient de la loi, et non du contrat de travail.
Après le burn-out, le bore out ?
Dire les choses en anglais, cela attire davantage l’attention désormais. La langue de Molière est passée de mode, particulièrement en France. Le chef de l’Etat avait d’ailleurs donné le « la » en la matière en début de mandat, avant de devenir plus raisonnable sur ce plan depuis quelques mois. Quoi qu’il en soit, la terminologie « bore out » a peut-être de l’avenir, qui sait.
Elle a été utilisée sur les conseils d’un demandeur dans une affaire aux Prud’hommes, et a été relevée par la cour d’appel dans un arrêt du 6 juin dernier. Cet arrêt est commenté par Patrice Adam, professeur à l’université de Lorraine dans la Semaine sociale Lamy du 24 août dernier. Bore out, cela peut sans doute se traduire par ennui. En l’occurrence, le collaborateur d’une entreprise avait été licencié. Comme souvent, il semble qu’il ne se soit plaint de rien auprès de son employeur avant cette rupture.
Pour faire simple, il s’est pourvu devant les Prud’hommes – qui lui donnèrent raison – en se plaignant d’avoir été placardisé. La monotonie des tâches qui lui étaient confiées, et le fait qu’elles n’auraient pas été conformes à ses compétences et ses attentes, l’auraient plongé dans un état dépressif.
Dès lors, il demandait à voir son licenciement déclaré nul et non avenu pour des faits de harcèlement moral. Patrice Adam consacre un développement à la question de savoir si la constatation de l’ennui au travail deviendrait ainsi un nouveau critère de harcèlement moral.
L’ennui, critère de harcèlement moral
Selon lui, la nouveauté pourrait résider dans l’idée « qu’il est possible de harceler moralement quelqu’un en suscitant volontairement l’ennui », mais il ne lui semble pas, cela dit en substance, que les juges d’appel aient souhaité dans cette circonstance élargir le périmètre de la notion de harcèlement moral.
Au demeurant, si l’ennui ressenti devenait un critère de harcèlement moral, le nombre de contentieux exploserait ! Patrice Adam évoque à cet égard les embauches de personnes surqualifiées par rapport à leur CV qui, inévitablement, vont s’ennuyer au bout d’un certain temps. L’employeur aura certes une part de responsabilité dans ce phénomène, mais une responsabilité partagée. Il préconise donc de consacrer des moyens et de l’attention à la prévention, dans ce domaine aussi.
Sur le plan des faits, la lecture de l’arrêt de la cour d’appel nous laisse quand même pantois. Certes, le collaborateur licencié apporte plusieurs témoignages à l’appui de ses prétentions, mais on subodore que ses problèmes dépressifs avaient vraisemblablement des raisons autres que professionnelles. On peut certainement reprocher à l’employeur son manque de proactivité, et in fine, un manquement à son obligation de sécurité du résultat, consacrée par la jurisprudence. Cela étant, c’est du chef de harcèlement moral que sa condamnation est confirmée par la cour d’appel, rejetant ainsi les arguments de l’employeur faisant valoir un dépit de l’intéressé lié à sa non promotion à un échelon supérieur.
Vincent Gardy
Les textes, les textes… mais pas toujours
Nous avons pu constater ces derniers mois un certain raidissement de la Chambre sociale quant au respect à la lettre des textes, ou des formes requises. Un arrêt du 3 juin 2020 semble démontrer, à nos yeux, une fenêtre dans cette lecture plus stricte de la conduite à tenir par les justiciables.
En l’occurrence, un salarié en CDD avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, en raison de faits graves reprochés à son employeur. Trouvant le temps judiciaire trop long, il rompit de son propre chef son CDD d’une manière anticipée. Les juges du fond lui donnèrent raison, à partir de l’analyse des griefs présentés par le salarié. Cependant, la cour d’appel analyse la rupture intervenue comme une prise d’acte. L’employeur sent la faille et demande la cassation de l’arrêt, car effectivement on ne pouvait considérer l’initiative du salarié, survenue après une demande de résiliation judiciaire, comme une prise d’acte.
Cependant, les hauts magistrats confirment la décision des juges du fond, en visant l’article L. 1243-1 du Code du travail, qu’il importait peu que la rupture ait été qualifiée improprement de prise d’acte. Ce qui est le plus important, selon la Chambre sociale, c’est que la cour d’appel avait pu constater que les faits constitutifs d’une faute grave de l’employeur étaient établis.
Rappelons que l’article L. 1243.1 alinéa 1 du Code du travail interdit toute rupture non consensuelle d’un CDD, sauf précisément cas de faute grave de l’une ou l’autre des parties, de forme majeure, en encore d’une inaptitude dûment constatée par le médecin du travail.
Dans cette affaire, la Cour de cassation passe donc en somme l’éponge sur un arrêt « mal rédigé », faisant primer le fond sur la forme en quelque sorte.
Vincent Gardy
Prime de pouvoir d’achat : une version moins attrayante
Suite à la crise des gilets jaunes, le gouvernement a instauré ou avancé, début 2019, des mesures de renforcement du pouvoir d’achat. Il avait également demandé aux entreprises de mettre la main à la poche en versant une « prime de pouvoir d’achat » assortie d’exonération sociales et fiscales. Cette incitation avait bien fonctionné, de sorte que de nombreuses primes ont été versées.
Le gouvernement va reconduire ce dispositif en 2020 selon des modalités proches de celles de l’an dernier sur de nombreux items : montant maximal, délimitation des bénéficiaires, plafond d’exonération.
Cependant, et c’est là le hic, la prime ne pourra s’effectuer que dans le cadre de l’existence d’un accord d’intéressement, qui devra être conclu avant le 30 juin 2020, date limite de son versement cette année. Pour limiter l’effet anxiogène de cette exigence, cet accord pourra ne porter que sur une seule année, au lieu de trois habituellement. Nul doute qu'on va cependant y regarder à deux fois dans les PME de moins de 50 salariés avant de se lancer dans ces complications. La prime pourra être mise en place par accord d’entreprise ou DUE (Décision unilatérale de l’employeur). Si on veut éviter une reconduite sine die, il convient de bien préciser dans l'accord que le versement ne concerne que l'année en cours, et est complètement distinct d'autres primes éventuellement déjà existantes. La prime de pouvoir d'achat ne peut se substituer à des éléments existants ou à venir. Si l’on fait attention, le jeu – de motivation des salariés à des coups allégés – peut en valoir la chandelle. Rappelons que cette prime peut uniquement être allouée à des salariés rémunérés au maximum à trois fois le SMIC, en considérant le total des douze mois écoulés avant son versement.
Vincent Gardy
Licenciement : la lettre fixe les limites du litige, le juge qualifie les faits
L’ordonnance n°2017-1387 du 22/09/2017 a modifié la rédaction de l’article L. 1232-6 du Code du travail. Même si l’arrêt du 16/09/2020 de la Cour de cassation est fondé sur la version antérieure dudit article, l’attendu principal à retenir semble toujours d’actualité.
En l’occurrence, pour débouter un salarié licencié de l’ensemble de ses demandes, les juges du fond avaient retenu une faute grave commise pendant son préavis, et derechef avaient requalifié le licenciement en incorporant ce fait.
La Chambre haute estime que, ce faisant, la cour d’appel a violé le texte de l’article L. 1232-6. En effet, rappelle-t-elle, c’est bien le texte de la lettre de licenciement qui fonde les limites du litige. Il n’appartient pas au juge « d’aggraver la qualification de la faute retenue par l’employeur dans [ladite] lettre ». Dont acte pour ce rappel, il est vrai destiné aux juges plutôt qu’aux parties.
La qualification des faits
S’il est donc entendu que, s’agissant d’un licenciement décidé à titre disciplinaire, la lettre de licenciement fixe les limites du litige relativement aux griefs exprimés par l’employeur, la Cour de cassation, dans un autre arrêt, toujours en date du 16/09/2020, rappelle l’importance du rôle des juges du fond qui doivent « qualifier les faits invoqués ».
En l’occurrence, la salariée d’une association avait remis avec un retard de près de trois mois 135 chèques à l’encaissement. Son employeur l’avait licenciée – pour simplifier – à raison du préjudice économique mais aussi, selon lui, d’image. Les juges du fond lui donnèrent tort, recherchant – curieusement – une possible intention de nuire de la salariée. Ne pouvant la démontrer, ils requalifièrent le licenciement en non fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Les hauts magistrats cassent l’arrêt de la cour d’appel, car – c’est nous qui le disons – plutôt que de rechercher une éventuelle intention de nuire, ils auraient dû, au contraire, « rechercher si les faits reprochés à la salariée n’étaient pas constitutifs d’une faute grave ou d’une faute de nature à conférer une cause et sérieuse de licenciement. »
Vincent Gardy
Plafonnement des indemnités de licenciement, la résistance de certaines cours d’appel
Les autorités ont voulu fluidifier le parcours prud’homal, en écartant les demandes mal fondées. Cela a abouti à une baisse d’environ 10 % des contentieux soumis, car les dossiers, plus généralement transmis par des avocats, ou des représentants syndicaux, sont plus complexes à mouler qu’avant. Le coût pour le demandeur en est donc augmenté.Pourtant, le temps moyen d’attente d’un jugement demeure relativement stable, autour de 14 mois, car les affaires qui demeurent sont souvent complexes. Les contentieux portent en très grande partie (92 %) sur les ruptures des contrats de travail. A cet égard, si le plafonnement des indemnités de licenciement pour cause injustifiée a pu dissuader les salariés dont le nombre d'années d'ancienneté et/ou le salaire ne sont pas élevés de lancer une procédure aux Prud’hommes, il n’en est pas de même de ceux qui, à l’inverse, bénéficiaient de rémunérations importantes et/ou de nombreuses années de collaboration.Ceux là ont les moyens de se procurer de bons avocats, et cherchent la faille, qu'ils arrivent assez souvent à trouver. En effet, les juges du fond (CPH et cours d'appel), sont encore souvent réticents à accepter l’encadrement des indemnités, se fondant sur la juste indemnisation du préjudice, qu’ils estiment ne pas toujours correspondre au plafond fixé par la loi. Et cela, malgré l’avis qui paraissait déterminant de l'assemblée plénière de la Cour de cassation. Certains juges du fond s'appuient encore sur des dispositions extra-nationales (Convention européenne des droits de l’homme…) pour résister aussi aux Hauts magistrats. D’autres cours d’appel suivent en revanche la jurisprudence définie par la cour de cassation. Du coup, tout dépend du lieu où les affaires sont jugées !
V. G.
Heures supplémentaires : des différends fréquents
Le calcul des heures supplémentaires provoque des contestations fréquentes, surtout bien entendu au moment du départ d’un salarié. A vrai dire, c’est souvent un peu « parole contre parole », à moins de disposer d’éléments précis de mesure. C’est pourquoi la CJUE s’est prononcée le 14 mai 2019 à l’occasion d’une QPC adressée par un juge espagnol, en faveur d’intégrer dans le droit ibérique un article obligeant les employeurs à mettre en place des systèmes permettant de mesurer précisément la durée de travail de chaque travailleur.
En l’occurrence, il s’agissait de veiller à la sécurité des salariés et au respect des horaires limites sur leur poste de travail. Mais, cela peut évidemment aussi servir au décompte des heures supplémentaires. Alors, comment allaient réagir nos juges suprêmes après cet arrêt de la CJUE, qui réaffirme indirectement les principes du droit de l’Union en la matière ? Un arrêt de la chambre sociale du 18 mars 2020, dans une affaire de litige sur le paiement d’heures supplémentaires, nous donne une première réponse.
Selon Dirk Baugard, professeur à l’université Paris 8 ComUE Paris Lumières, qui analysait l’arrêt dans une tribune de La semaine sociale Lamy du 4 mai dernier, « la réponse [de la chambre sociale] est pour le moins ambigüe ». L’arrêt du 18/03/2020 ne semble pas, en effet, selon lui, changer fondamentalement le régime de la preuve des heures de travail établi antérieurement par la jurisprudence.
Il estime cependant que la charge de la preuve pourrait peser davantage à l’avenir, du côté du fléau où se trouve l’employeur. Rappelons que l’article L. 3171-4 prévoit que le salarié doit amener à l’appui de sa demande des éléments, dont la jurisprudence exige qu’ils soient suffisamment précis, mais ne fait peser sur aucune des parties la charge de la preuve.
Une évolution progressive favorable aux salariés
La jurisprudence a évolué progressivement depuis 2004, de telle sorte que la charge de la preuve – en l’occurrence du non accomplissement d’heures supplémentaires – repose davantage sur l’employeur. Le salarié doit produire des éléments factuels, assez précis pour que l’employeur puisse y répondre, et non plus des éléments probatoires, ce que demandait la jurisprudence antérieure à 2010. Certains auteurs estiment qu’il faudrait que les juges du fond, dans le prolongement de la jurisprudence de la CJUE, réclament toujours à l’employeur des relevés de temps de travail avant de se prononcer.
« Cependant, selon Dirk Baugard, il est permis de penser que les litiges portant sur le seul paiement d’heures supplémentaires n’entre pas dans le champ d’application du droit de l’UE ». Lequel s’intéresse en la matière principalement, voire exclusivement, aux questions tenant à la sécurité et à la santé des travailleurs. Quoi qu’il en soit, les contestations du paiement d’heures supplémentaires – réelles ou imaginaires – ne sont pas près de cesser. Employeurs comme salariés ne doivent pas prendre à la légère ces questions et faire en sorte de ne pas être pris en défaut de preuves si conflit il y a.
Vincent Gardy
CNIL : nombreuses plaintes dans le domaine SRH
Les plaintes enregistrées auprès de la CNIL ont connu une forte hausse – de 32 % – en 2018 par rapport à 2017. Cette progression devrait se poursuivre en 2019. En cause essentiellement l'effet du RGPD. Cependant, 16,5 % du total des plaintes traitées par la commission nationale informatique et libertés relève des RH. Sont visés en particulier la vidéosurveillance jugée excessive, la géolocalisation ou encore les refus de communication du dossier professionnel.Dans le rapport de la CNIL, on constate également des plaintes liées aux nouvelles technologies, qui rendent la surveillance des salariés plus efficace, mais tend à empiéter sur la confidentialité et la préservation de l’espace privé.Parmi les tendances récentes, les rapporteurs mettent en exergue « le visionnage à distance d’images issues des dispositifs vidéo, notamment par l'employeur, depuis son ordinateur ou sa tablette, avec un risque de surveillance excessive des salariés ». La CNIL a fait remonter les informations au Ministre du Travail en décembre 2018, l’alertant sur les risques ainsi encourus par ses collaborateurs à cet égard.
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