Relations sociales

Période d’essai : une durée raisonnable est une question de faits

On se souvient qu’il y a quelques années, le législateur avait assoupli les règles relatives aux périodes d’essai, essentiellement en permettant, dans certains cas, et pour les cadres, d’aller jusqu’à six mois.

Les syndicats « ouvriers » sont demeurés hostiles à cet allongement. Dans l’affaire qui nous concerne ici, un cadre dont le contrat avait été rompu à l’initiative de l’employeur pendant la période d’essai, s’est pourvu devant les juges pour faire valoir un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur quels moyens s’appuyait-il pour ce faire ?

Tout simplement sur les principes posés par la convention n° 158 de l’OIT entrée en vigueur en France le 16/03/1990. Ce texte est assez contraignant en matière de période d’essai, qui présente la caractéristique de permettre à l’employeur de mettre fin au contrat sans justification, et cependant avec un préavis d’une durée fixée en fonction de la durée de ladite période.

Néanmoins, l’article 2 § 2b de ladite convention prévoit des dérogations possibles à la durée maximale, du moment qu’elle est fixée d’avance et raisonnable. Mais qu’est-ce qui est raisonnable ?

Dans l’affaire qui nous intéresse, les juges du fond donnent raison au salarié, au visa de la convention n° 158, et « au regard de la finalité de la période d’essai dont la durée est de six mois ». L’employeur, condamné au paiement de différentes sommes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, se pourvoit en cassation. La Chambre sociale lui donne raison, estimant que « en se déterminant […] par une affirmation générale [Ndlr : la durée de six mois], sans rechercher, au regard de la catégorie d’emploi occupée, si la durée totale de la période d’essai […] n’était pas raisonnable, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale ». Autrement dit, le facteur « durée pure » n’en est un que parmi d’autres, en matière d’analyse de la validité d’une période d’essai.

Vincent Gardy

Travailleurs détachés : l’épilogue

Le feuilleton du détachement continue. Depuis plusieurs années, vous le savez, la question du détachement des salariés étrangers, issus de l'Union européenne tout particulièrement, fait l'objet de débats houleux et d'une réglementation de plus en plus stricte, visant à rendre la concurrence davantage équitable. Le dernier épisode en date est celui de l’instruction de la Direction Générale du Travail du 19 janvier dernier.

Cette instruction est abordée en détail par Marijke Granier-Guillemarre, avocate associée MGG Voltaire Avocats, dans La Semaine sociale Lamy du 1er mars dernier. De nouvelles règles sont édictées, qui visent à lutter contre la concurrence sociale, défavorable à la libre compétition des entreprises, et aussi aux travailleurs français. L’instruction du 19 janvier 2021 est le lointain débouché d’une directive européenne du 29 juillet 2018, transposée en droit interne par une ordonnance du 20 février 2019, applicable en théorie dès le 30 juillet 2020. Nous y voici donc. L’idée, comme le souligne Marijke Granier-Guillemarre, c’est que « le principe d’égalité de traitement “à travail égal, salaire égal”, doit désormais être garanti aux travailleurs détachés en France ». La différence avec la réglementation précédente, c'est qu'il ne s'agit plus seulement de faire respecter un salaire minimum, mais de
« garantir l'égalité de traitement avec les salariés employés par les entreprises de la même activité établis en France, en matière de rémunération […] ». Les avantages ou accessoires éventuellement prévus doivent être également versés aux travailleurs détachés.
Bref, sur le papier, en résumant très hâtivement, les différences deviennent minimes en termes de rémunération et d’avantages sociaux. Quant aux contrôles, ils devraient être très rigoureux et les sanctions implacables. Notons que ce que l’on peut appeler le noyau dur de la réglementation sociale française s’appliquera pendant toute la durée du détachement du travailleur étranger en France, dans la limite cependant d’un an. Au-delà d’un an, c’est a priori l’intégralité de cette réglementation qui deviendra applicable.

Le BTP particulièrement ciblé

Soulignons que le secteur du BTP est particulièrement ciblé par des dispositifs spécifiques encore plus stricts. Les pouvoirs publics semblent décidés ainsi à contribuer à réduire fortement le nombre de travailleurs détachés en France, puisque la ministre, Elisabeth Borne, a indiqué vouloir rapidement élaborer dans ce cadre un plan « de résorption sectorielle ». Marijke Granier-Guillemarre rapporte, en outre, qu'Elisabeth Borne a déploré « la persistance d'un recours massif au travail détaché dans certains secteurs, […] incompréhensible dans une période de chômage ». C'est qu'en 2019, plus de 500 000 travailleurs détachés sont venus chez nous, principalement dans le BTP, l’industrie et l’agriculture. A tout pécheur miséricorde ! Ceux qui vilipendaient « les lanceurs d’alerte » il y a quelques années, font-ils désormais preuve de bon sens ? Soyons optimistes !

Vincent Gardy

Absence prolongée d’un salarié : un licenciement possible, sous surveillance

On sait que le licenciement d’un salarié en raison de son état de santé ou de son handicap est interdit par la loi, à travers l’article L. 1121-1 du Code du Travail.

Cependant, une absence prolongée peut mettre son entreprise dans une situation délicate. L’employeur peut donc motiver un licenciement par une absence prolongée du salarié ou encore des absences répétées, perturbant fortement le fonctionnement de l’établissement ou du service concerné. Mais, attention, rappellent en substance les hauts magistrats dans un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 24 mars dernier, cela suppose que l’employeur soit amené à acter son remplacement définitif, et à engager un autre salarié.

Et ce remplacement, précise encore la Cour, doit intervenir « dans un délai raisonnable ». Cette condition sera appréciée souverainement par les juges du fond. Autrement dit, il ne faut pas trop traîner, sinon à recruter, du moins à entamer des démarches actives en vue de le faire. Dont acte !

 

Vincent Gardy

Litige sur les heures non rémunérées : l’employeur doit répondre précisément

Le nombre d’heures travaillées fait l’objet de fréquents litiges, généralement après une rupture ou une fin de contrat, mais pas seulement.

Ce ne sont pas des conflits forcément faciles à trancher, même d'ailleurs lorsqu’une pointeuse est en place. La charge de la preuve est, en quelque sorte, conjointe. Bien entendu, le salarié, qui est demandeur, doit apporter tous les éléments qu'il juge nécessaires à l’appui de sa demande. Et le défendeur, en l’occurrence, l’employeur doit répondre aux arguments avancés, en faisant valoir les siens.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 janvier dernier rapporté par La Semaine sociale Lamy du 8 février dernier, a tenu à recadrer cette dialectique d’une manière claire. En la circonstance, les juges du fond avaient débouté le salarié de ses demandes relatives au paiement d’heures de travail non réglées par son employeur. Les hauts magistrats rappellent l’agencement des échanges.

Il appartient dans un premier temps au salarié de présenter, à l'appui de sa demande « des éléments suffisamment précis […] pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments […] ». Si l’affaire va en justice, le juge dispose d’une grande liberté dans l’appréciation des sommes qui seraient éventuellement dues par l’employeur.  Il n’est ainsi « pas tenu de préciser le détail de son calcul ».

Dans l’affaire qui nous intéresse ici, la cour d’appel avait rejeté les demandes du salarié, en ce qu’elles reposaient sur des éléments que les juges du fond ont jugé
« insuffisamment précis ». Les hauts magistrats, dans leur analyse, relèvent au contraire, que les éléments fournis, à la lumière des observations des juges du fond, permettaient à l’employeur d’y répondre, et qu’il ne produisait, en outre, en défense, aucun élément de contrôle de la durée du travail, en écho sans doute, sur ce point, à la jurisprudence européenne en la matière.

Dès lors, la décision des juges du fond faisait peser sur le seul salarié la charge de la preuve, violant ainsi l'article L. 3171-4 du Code du travail, tranche la Chambre sociale.

Vincent Gardy

Titres-restaurant et télétravail : des jugements disparates

Les jugements se suivent et ne se ressemblent pas en matière d'attribution éventuelle de titres- restaurant au télétravailleur. Deux logiques s’opposent : le principe d'égalité de traitement entre les collaborateurs d'une même entreprise, en tout cas dans le même établissement, d’une part, et celui d’une attribution très encadrée, destinée aux salariés ne bénéficiant pas d’une cantine, d’autre part.

Nous simplifions volontairement, mais l’idée est là. La Semaine sociale Lamy du 19 avril dernier a consacré une chronique détaillée à ces affaires. Que s’est-il passé ? Des télétravailleurs de grosses structures se sont plaints – via leurs syndicats – de ne plus se voir attribuer de titres-restaurant, alors qu’ils étaient en télétravail, tandis que leurs collègues exerçant leur activité en présentiel en bénéficiaient. Rupture d’égalité donc selon eux.

Sauf qu’ils n’étaient pas placés dans la même situation, et que l’idée de base du titre- restaurant était de compenser le surcoût lié à une restauration hors du domicile. Du reste, rappellent Elise Lederlin, avocate associée et Inès Saint-Lary, avocate, du cabinet Delsol Avocats, la jurisprudence admettait ainsi qu’un employeur puisse exclure du bénéfice de titres-restaurant des salariés dont le domicile était situé dans la même commune, ou encore à moins de dix minutes de leur lieu de travail. Les employeurs peuvent tout à fait également n’attribuer de titres que pour les jours effectivement travaillés.

Une lecture différente

Et là, les chemins des juges se séparent. Le tribunal judiciaire de Nanterre demeure dans la logique initiale de la législation (ordonnance du 27 septembre 1967) et motive ainsi sa décision. « L'objectif poursuivi par l'employeur […] est de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l'impossibilité de [le faire] ».

Voilà qui est clair. Le télétravailleur, par définition, sauf s’il se trouve dans une salle de coworking distante de son lieu de travail nominal, est chez lui !

Le tribunal judiciaire de Paris, dans une analyse nous semble-t-il assez surréaliste, instaure, lui, une sorte de droit au remboursement – au moins partiel – du repas pris pendant la journée de travail, quel que soit le lieu où s’exerce l’activité. Il estime que « [les titres-restaurant] ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas ». A cet égard « les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site ». Les bras nous en tombent !

Le principe de l'égalité de traitement rappelé par le même tribunal judiciaire de Paris, et posé par l'article L. 1222.9 du Code du travail entre télétravailleurs et collègues sur site, nous semble valoir toutes choses égales par ailleurs. Attendons la suite en appel, puis en cassation !

Vincent Gardy

CDD : soyons précis

Un arrêt très récent de la Cour de cassation du 20/01/2021, relayé par la Semaine sociale Lamy du 1er février dernier, permet une révision utile pour les employeurs des formalités du CDD.

La Chambre sociale opère en l'occurrence une lecture très rigoriste des articles L. 242-12 et L. 1245-1 du Code du travail. En la circonstance, un salarié ayant été engagé en CDD comme navigant commercial, réclamait la transformation de son CDD en CDI, en raison d’irrégularités préposées contenues dans son contrat. Vous allez voir, c’est assez pointu, et cela suppose l'assistance d'avocats spécialisés, probablement engagés par un syndicat.

On sait que, dans la majeure partie des cas, hormis celui spécifique des contrats saisonniers, les CDD correspondent au remplacement de personnels « titulaires » (maladie, maternité…). Et il faut le préciser dans la convention, qui doit être nécessairement passée par écrit. L'employeur, n'y voyant probablement pas matière à discussion, spécifiait que le CDD dont il est question, pourvoyait au remplacement d'un
« navigant commercial ».

Mais voilà, saisis par le salarié, les juges du fond donnent raison à ce dernier. Pourquoi ? La Chambre sociale nous répond en substance que la combinaison des articles L. 122-3-1 et L. 122-3-13 du Code du travail, devenus entre-temps L. 1242-12 et L. 1245-1, exige « une définition précise du motif de remplacement », ce qui suppose d'indiquer « nécessairement », le nom de la personne remplacée – ce qui va de soi – mais aussi « sa qualification ».

Or, les juges du fond ont relevé que la terminologie de « navigant commercial » recoupait des qualifications très diverses et – in fine –  une grille et des rémunérations différentes.

Dès lors, la Cour de cassation suit les juges du fond, estimant que le salarié engagé ne connaissait pas au préalable la qualification exacte de celui auquel il devait se substituer temporairement.

Le CDD conclu par pour ce motif est donc irrégulier et en principe requalifié en CDI. Voilà une lecture très proche du texte, pourrait-on dire. Quant au salarié en CDD, puisque l'arrêt d’appel indique qu'il ne pouvait pas connaître exactement la qualification de celui qu'il remplaçait, que n'a-t-il demandé des précisions à son employeur !

Vincent Gardy

Titres restaurant : un rappel utile !

Au fil des ans, les titres-restaurants sont devenus de la quasi-monnaie, et ont été perçus par les salariés comme un complément de rémunération. A cet égard, un récent jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre (Pôle social, 10 mars 2021) cherche à mettre un peu d’ordre dans tout cela. Ce jugement a été publié in extenso dans la livraison de La Semaine sociale La-my du 15 mars dernier.

De quoi s’agissait-il ? En l’occurrence, une fédération de syndicats de l’UES Malakoff-Humanis réclamait à l’employeur d’avoir à régulariser l’attribution d’un titre restaurant « pour chaque jour travaillé cours duquel le repas est compris dans leur horaire de travail jour-nalier et ce, depuis le 17 mars 2020 […] ».
Il s’agit, on l’aura compris, de délivrer des titres restaurant à ceux qui étaient contraints au télétravail, en vertu de l’égalité de traitement entre salariés. Le tribunal de Nanterre égrène, un à un, les éléments qui vont l’amener à statuer, à commencer par l’article L. 3262-1 du Code du travail, qui définit le titre restaurant comme un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter tout ou partie du prix d’un repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou d’un organisme agréé.
Les juges évoquent ensuite l’accord sur le télétravail conclu en 2019 au sein de Malakoff-Humanis, qui n’aborde pas la question des titres restaurants. Quant à l’ANI du 26 novembre 2020, toujours sur le télétravail, ils n’en fait pas mention non plus.
Effectivement, les directions de Malakoff Médéric et de Humanis ont bien décidé d’attribuer des titres restaurants aux salariés travaillant sur les sites non dotés d’un restaurant d’entreprise.
Ces mêmes directions ont cessé d’attribuer des titres restaurants aux salariés en télétravail. Relevant que « le titre restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale », et que « l’objectif poursuivi par l’employeur en finançant ces titres, est de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile, pour ceux qui seraient [dans l’impossibilité de le faire, le Tribunal estime – CQFD – […] que les salariés placés en télé-travail] ne peuvent donc [y] prétendre en l’absence de surcoût lié à leur restauration en dehors de leur domicile ».
Dès lors, « la messe est dite » : le Tribunal judiciaire déboute la Fédération syndicale de l’ensemble de ses demandes (la principale et les accessoires).
Mais attention, le feuilleton ne fait que commencer : attendez-vous à un rebondissement en lisant notre prochaine édition !

Vincent Gardy

Rupture conventionnelle : attention aux salariés protégés

La rupture conventionnelle, mise en place en 2008, est désormais un outil largement utilisé pour arrêter dans de bonnes conditions un contrat de travail. Il convient pour les deux parties de respecter un minimum de forme et d'envoyer la convention à la diligence de l’une ou l’autre d’entre elles, à la Direccte, dont l’homologation est acquise, sauf refus de sa part sous quinze jours.

La rupture conventionnelle a occasionné relativement peu de contentieux, lesquels se terminent souvent par le rejet du recours de la partie demanderesse suivant une annulation. Lorsqu’on a affaire à un salarié protégé, c’est un peu plus compliqué. La démarche ressemble en l’occurrence à celle relative à un licenciement. L’employeur doit, en effet, demander une autorisation préalable à l’Inspecteur du travail.

Un arrêt récent de la Cour de cassation du 4/11/2020, cité par La semaine sociale Lamy du 26 octobre, rapporte dans ce cadre une affaire relative à un élu local, en l’occurrence maire-adjoint d’une commune de plus de 10 000 habitants, protégé par le code général des collectivités territoriales, (L. 2123-9, 4e alinéa). Voilà donc son employeur qui signe avec lui une rupture conventionnelle, dûment homologuée ensuite par la Direccte. Mauvaise surprise pour lui, son ancien salarié, qu'on peut soupçonner d'avoir été malicieux, se pourvoit aux Prud'hommes pour demander les effets d’un licenciement nul pour violation du statut protecteur du salarié. Les juges de l’appel lui donnent raison. La Cour de cassation confirme l’arrêt des juges du fond, en constatant que les élus susmentionnés sont protégés au sens du livre IV du code du travail, donc qu’une rupture conventionnelle (NDLR : de même que pour un licenciement, bien sûr) doit être préalablement autorisée par l’Inspecteur du travail.

Vincent Gardy

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