Relations sociales

Rupture conventionnelle : soyez prudents quand même !

L'on a souvent écrit dans ces colonnes que la cour de cassation se montrait très souple vis-à-vis des employeurs dans le cadre de conflits relatifs à une rupture conventionnelle. Il semble que les hauts magistrats veuillent tenir compte de l'esprit de la ANI (Accord national interprofessionnel de 2008), qui était précisément d’assouplir les conditions de ruptures consensuelles.Cela étant, la Chambre haute vient de rappeler dans deux arrêts qu’il fallait tout de même respecter les règles. Ce qu'on peut interpréter comme un tour de vis pour freiner certaines dérives, car les juges du fond avaient tendance à se montrer très laxistes.Dans deux arrêts du 3 juillet 2019, la Chambre sociale remet les pendules à l'heure : tout n'est pas permis. Ces deux affaires voyaient un ex salarié revendiquent la nullité de la rupture conventionnelle en faisant valoir des vices de forme : oubli de la mention qu’un exemplaire de la convention a été remis à chacune des parties dans un cas; de la signature de l’employeur sur celui remis au salarié dans l’autre cas.Les juges du fond – pour résumer – avaient estimé que le contexte faisait présumer que le consentement du salarié était clairement consenti, et qu’il avait disposé de tous les éléments d’information nécessaires.La cour de cassation ne les suit pas dans leur raisonnement et casse les deux arrêts d’appel, en se fondant dans les deux affaires sur les articles L.1237-11 et L.1237-14 du code du travail, et au surplus sur l'article L. 1237-14 dans la deuxième d'entre elles.On constate ainsi que les hauts magistrats remettent au goût du jour les exigences de forme…

Vincent Gardy

La rupture conventionnelle encore consolidée

La Cour de Cassation vient de confirmer dans un récent arrêt du 23 janvier sa position très pragmatique vis-à-vis de la rupture conventionnelle. Ce dispositif mis en place par les partenaires sociaux en 2008 à l'occasion d'un ANI (Accord national interprofessionnel) connaît un succès grandissant.
Et les hauts magistrats semblent vouloir permettre que ces ruptures « donc » entre employeurs et employés ne soient pas entravées par une jurisprudence trop contraignante.
En la circonstance, une salariée avait signé une rupture conventionnelle avec son employeur, dûment homologuée par la Direccte. Elle avait par la suite intenté une action contre son ancienne entreprise au titre d’un vice de consentement. Mais pas n’importe lequel ! Un fait de harcèlement moral. Les juges du fond constatent que ce fait de harcèlement moral est avéré. Se fondant sur l’article L. 1152–3 du code du travail, ils rappellent que « toute rupture du contrat intervenue en violation des dispositions protectrices sur le harcèlement [est] est nul ». Dès lors, estiment-il, nul besoin, selon eux, d'avoir à prouver un vice de consentement.La Chambre sociale ne voit pas les choses de la même façon. La salariée eût dû prouver un vice du consentement, au visa de l’article L. 1237–11 du code du travail, car, comme le souligne en substance notre consœur Marjorie Caro dans La semaine sociale Lamy du 11 février dernier, [dès lors] un harcèlement moral n’induit pas nécessairement un vice du consentement; l’erreur, le dol, ou la violence doivent être démontrés.Cette décision de cassation s’inscrit, souligne Marjorie Caro, dans la lignée d’un arrêt du 30/01/2013 de la cour de cassation à l'occasion duquel le conseiller Hervé Gosselin indiquant que le harcèlement moral n'impliquait pas ipso facto un vice du consentement.Du coup, on revient au droit commun. C'est au salarié d'apporter par tous moyens la preuve du vice du consentement et dès lors que le harcèlement moral y a conduit. C’est-à-dire qu’il y a eu violence morale (cf. rapport annuel 2013 de la cour de cassation). Bon courage !

Vincent Gardy

Clause de non-concurrence : durcissement de la jurisprudence ?

Le libre exercice d'une activité professionnelle est un principe de base de notre droit. Cependant, il peut être limité contractuellement, en particulier dans les emplois sensibles ou commerciaux. Les restrictions ont pour contrepartie une indemnisation pécuniaire. Et surtout elles doivent être raisonnablement bordées dans le temps et dans l’espace.
A cet égard, un arrêt récent de la cour de cassation (Chambre sociale 03/07/2019), semble minorer la portée de cette analyse habituelle en demandant aux juges du fond de vérifier la réalité de l'obstacle fait au libre exercice de sa profession pour le demandeur ou la demanderesse.
En l'occurrence une manager d'une boutique de luxe avait vu, par ricochets successifs liés à des mutations, sa clause de non-concurrence étendue à des zones mondiales très larges.
A la suite de sa démission et d’un désaccord avec son employeur quant au calcul de l’indemnité compensatrice de sa clause de non-concurrence, elle a attaqué en justice sur le chef d’une prétendue nullité de ladite clause.Les juges du fond accueillirent favorablement sa demande, relevant que les zones géographiques très étendues stipulées – Asie, Europe, Etats du Pacifique – représentaient une restriction excessive à la liberté du travail. Mais la Chambre sociale ne suit pas ce raisonnement. Elle estime que les juges du fond auraient dû vérifier si, « la salariée se trouvait (dès lors) dans l'impossibilité d'exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle ». Et les hauts magistrats de casser l’arrêt d’appel.Cette décision nous laisse dubitatifs. En tout cas, elle s’inscrit dans une longue série d’assouplissements accordés aux employeurs.

Vincent Gardy

CDD, discrimination : quelques rappels utiles !

Deux arrêts récents de la Cour de cassation, rapportés par la Semaine sociale Lamy du 26 novembre dernier, nous permettent de rappeler certaines évidences pourtant négligées parfois.La première affaire avait trait à l’assignation d'un employeur aux Prud’hommes à raison d’une prétendue discrimination. En l’occurrence, un salarié s’était vu privé d’une prime, au moins partiellement, en conséquence d’une absence de quelques jours motivée par une grève. Or, rappelle en substance la Cour de cassation (07/11/18), confirmant ainsi le cheminement des juges du fond, s'il est vrai que l'on peut conditionner l'octroi d'une prime au présentéisme, on doit appliquer la même règle pour tous les salariés, quelle que soit la raison des absences.La cour d’appel avait relevé que les salariés en maladie professionnelle ayant plus d’un an d’ancienneté - et donc absents de leur lieu de travail, continuaient à bénéficier dans cette société de la prime d’assiduité, sans abattement.Dès lors, la Chambre haute, approuvant ainsi l’analyse des juges du fond, estime que l'application d'une retenue à un salarié pour fait d'absence pour grève présentait un caractère discriminatoire.
CDD : toujours la forme !
On sait qu’un CDD doit nécessairement faire l’objet d’un écrit. Quasiment nul ne l’ignore. Encore faut-il signer le contrat ! Voici les tenants d’une affaire qui a fait l’objet d’un arrêt en Cour de cassation le 14/11/2018.
Un salarié demande la requalification en CDI de son CDD en date de la conclusion de celui-ci. Il invoque l’absence de signature de l’employeur au bas du document. Le conseil des Prud’hommes le suit dans son analyse. En revanche, la cour d’appel estime que cette absence de signature n’est pas une irrégularité au caractère irréfragable. Et les juges d'appel de constater que le salarié avait, quant à lui, visé le document, et que le déroulement de la collaboration s’était fait conformément aux clauses figurant dans le contrat.
La Chambre haute censure cette décision : « […] Faute de comporter la signature de l’une des parties, les contrats à durée déterminée [ne peuvent être] considérés comme ayant été établis par écrit ». Par suite, ils sont « réputés conclus pour une durée indéterminée ». Alors, avis aux employeurs : vérifiez tout document écrit soigneusement !

Vincent Gardy

Dénonciation des infractions routières par l’employeur : une évolution

Depuis le 1er janvier 2017, on sait que l’employeur a l’obligation de dénoncer tout salarié qui a commis une infraction en roulant dans un véhicule, acheté ou loué par son entreprise.La non-dénonciation par l’employeur fait encourir au représentant légal une amende forfaitaire de quatrième classe, certes d’un montant pas très élevé. Cependant, dans certaines circonstances, par exemple pour éviter une perte de permis très préjudiciable à un collaborateur qui a absolument besoin de son véhicule, la tentation peut être grande d’éviter la dénonciation, en réglant les deux amendes – routière d’une part, mais aussi forfaitaire – pour ne pas avoir à divulguer le nom du conducteur.Alors, qu’en est-il des pratiques un an après la publication de la loi, à fin 2017 ? Le rapport d'activité de l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions fait état d'une très notable augmentation du taux de désignation des conducteurs, passé de 26 % à 83 %. 

Quant au nombre d'infractions commises par les conducteurs au volant d’un véhicule fourni par l’entreprise, il a baissé de 9,4 %. Pour ce qui est de la dénonciation des conducteurs, l’obligation pour le représentant moral de s’acquitter de l'amende forfaitaire a certainement constitué une incitation puissante. Or, le 11 décembre 2018, comme le rapporte Steven Roche, juriste, Fidere Avocats, docteur en droit, dans La semaine sociale Lamy du 01/4/2019, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a admis que la non-dénonciation puisse être concurremment imputée à l’entreprise–personne morale.
Cela pourrait-il pousser certains employeurs à revenir sur leur comportement « vertueux » ?Steven Roche ne le souhaite évidemment pas. Il ne le pense pas non plus, car les entreprises fautives de payer régulièrement les amendes forfaitaires vont être pistées. Le strict rappel de la procédure de dénonciation va être encore davantage exigé à l’avenir, estime le juriste, prenant pour exemple un arrêt très récent de la Cour de Cassation (15/01/2019), à propos d’une société dont le gérant, lui-même conducteur en infraction, s’était acquitté personnellement de la contravention, sans que sa société, personne morale, ne l’ait désigné à la police.

Discrimination : les bonnes intentions ne font pas tout

Vouloir le bien de son prochain paraît une attitude digne de respect. Ce principe devrait pouvoir s’appliquer dans l’entreprise. Mais cela n’est pas si simple. En voici une preuve. Une entreprise avait mis en retraite anticipée un salarié dont il était constant que sa santé était altérée depuis plusieurs années. Son employeur décide donc de le mettre en retraite anticipée, estimant que « la poursuite [de son] activité professionnelle serait néfaste pour sa santé mentale [autant que physique] et que financièrement cette nouvelle situation ne lui serait pas dommageable, car [il avait accumulé suffisamment de trimestres de cotisation de retraite pour bénéficier d’une pension décente] ».
Tout cela paraît bien ficelé, et dans l’intérêt d’un salarié, dont y compris la santé mentale semblait en péril. Et les juges du fond de débouter sa demande de dommages et intérêts, au titre d’une mise à la retraite discriminatoire, convaincus qu’ils sont par les arguments de l’employeur. Seulement voilà, la loi est la loi. Et la cour de Cassation, saisie d’un recours du salarié, s’appuie sur la lettre du texte, et casse l’arrêt de la Cour d’appel : « […] qu’en statuant ainsi, alors qu’est discriminatoire la mise à la retraite du salarié fondée sur son état de santé, la Cour d’appel a violé l’article L. 1132-1 du code du Travail (Cass. Soc. 12/07/2018) ».

Vincent Gardy

Géolocalisation : le tour de vis

La géolocalisation est très en vogue. C’est vrai qu’elle est bien pratique pour les livreurs, par exemple, ne serait-ce d’ailleurs que pour des raisons de sécurité. Néanmoins, la tentation est grande pour les employeurs d’utiliser cette technique pour surveiller de très près les parcours et le temps de travail des collaborateurs concernés.
La Chambre sociale, dans un arrêt du 19 décembre dernier, semble vouloir donner un tour de vis supplémentaire, et assez sévère, à cette utilisation.
Sans rentrer dans le détail de l’affaire, qui oppose une fédération professionnelle et des syndicats, nous retiendrons de cet arrêt de cassation, l’attendu suivant,
rendu au visa de l’article L. 1121-1 du code du Travail. Rappelant que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnés au but recherché », les hauts magistrats ajoutent – élément à souligner – que la géolocalisation « […] n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen […], et [s’il] ne peut être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace […]. De plus, précise la Chambre sociale, « [la géolocalisation] n’est pas justifiée si le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail. »
En l’occurrence, les juges du fond n’avaient pas vérifié s’il existait un moyen alternatif à la géolocalisation pour vérifier la durée de travail des salariés. Dès lors, la cassation était encourue. On remarque donc la forte réticence de la chambre haute vis- vis des dispositifs de géolocalisation. Le parcours de l’employeur est, en effet bordé potentiellement par la nécessité qu’il les utilise, faute d’alternative – mais laquelle ? – et l’impossibilité de la mettre en place pour les cadres.
Un vrai tour de vis, nous semble-t-il.

Uber touchée à son tour

La Cour d’appel de Paris a emboîté le pas à la cour de cassation, dans une affaire concernant cette fois un prestataire d’Uber (C. appel 10/01/2019). Privé de sa collaboration par le géant américain qui avait fermé son accès à l’application en 2016, et se trouvant donc sans travail, le chauffeur qui avait un statut d’autoentrepreneur, a traduit Uber aux Prud’hommes.
Sans surprise, le conseil des Prud’hommes de Paris avait excipé de son incompétence, l’affaire ne concernant pas un contrat de travail. L’intéressé a formé un contredit auprès de la Cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel a renvoyé l’affaire devant le conseil des Prud’hommes, à partir d’une argumentation très élaborée. Les attendus sont analysés en détail dans la Semaine sociale Lamy du 21 janvier par Thomas Pasquier, professeur à l’Institut du droit à l’université Lumière Lyon 2, directeur de l’Institut d’étude du Travail de Lyon.
Nous ne rentrerons pas ici dans les détails de l’analyse. Néanmoins, parmi les éléments essentiels retenus par la Cour d’appel, et qui l’ont amenée à requalifier un contrat de prestations de services en contrat de travail, nous retiendrons les suivants :
Tout d’abord, l’absence de clientèle propre, puisque les passagers transportés sont les clients d’Uber et non ceux du chauffeur. En deuxième lieu, le contrôle permanent de l’intéressé, assorti de possibilités de sanctions. Ensuite, l’impossibilité en pratique pour lui d’apporter ses services à un concurrent d’Uber. Thomas Pasquier envisage, par ricochet, la possibilité pour la justice d’obliger « l’employeur » à respecter la loi relative au temps de travail.
Affaire à suivre, car Uber s’est pourvue en cassation.

Vincent Gardy

Neutralité religieuse et liberté personnelle du salarié

Comment préserver la liberté d’un individu dans l’entreprise dans tous les aspects, y compris celui de ses croyances, tout en assurant la discrétion qui peut s’imposer, en premier lieu dans le cadre des relations avec les clients ?
Ce sujet ne cesse de défrayer la chronique, en particulier à l’aune des exigences posées par la pratique de la religion musulmane.

La Cour de cassation et son homologue belge avaient botté en touche en 2014 à travers une question préjudicielle auprès de la CJUE, dans des affaires au contexte relativement similaire.
Après deux ans et demi de réflexion, les juges européens ont rendu leurs arrêts le 13 mars 2017. Munie de ce précieux avis, la Chambre sociale a rendu son arrêt à elle le 22 novembre dernier dans l'affaire qui concernait la France.
Pour faire court, une dame en relation avec la clientèle avait été licenciée, car elle avait refusé de retirer son voile lorsqu'elle se trouvait face aux clients. Elle connaissait cette interdiction, sachant – ce qui avait été retenu par la Cour d'appel, qu'elle pouvait manifester ses convictions religieuses dans l'entreprise le reste du temps.
Cependant, l’employeur, la société Micropole, avait invoqué à l’appui de sa démarche sa volonté, exprimée à l’origine de manière verbale, de mener une politique de neutralité.
On peut évidemment inscrire les attendus de cette politique dans le règlement intérieur, mais il faudra faire très attention à sa rédaction ! On en arrive vite à l’accusation de discrimination indirecte, si les mesures posées amènent facilement à un licenciement de la personne concernée.
Dans tous les cas, la Chambre sociale, suivant en cela scrupuleusement les attentes de la CJUE, exige qu’un autre poste soit proposé à l’employé(e) concerné(e) dans l’entreprise, au cas où elle ne souhaiterait pas respecter le règlement intérieur, ou la norme, écrite ou non, sous forme d’une note de service par exemple, qui restreindrait sa pratique religieuse visible dans la fonction qu’il (elle) occupe. « […] il appartient à l'employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il est possible de proposer à la salariée un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ses clients, plutôt que de procéder à son licenciement. »
Inutile de dire qu’une ETI - ou une grande entreprise, aura à cet égard des possibilités que les TPE/PME n’ont pas ! La Haute juridiction s’inscrit ainsi dans ce que les experts nomment « l’accommodement raisonnable », principe anglo-saxon.
Quoi qu’il en soit, les cas conflictuels, si l’on en croit les chiffres de l’étude annuelle Randstadt, ne cessent d’augmenter en entreprise dans le cadre de la pratique religieuse. Pas étonnant alors que notre république laïque entre en conflit frontal avec certains enseignements religieux.

Page 6 sur 8