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Irlande : un porte-avion américain en Europe ?

 

L’Irlande (l’Eire) n’est évidemment pas un des poids lourds de l’Union européenne. Il nous a paru cependant intéressant d’apporter un éclairage sur ce pays pour principalement trois raisons. D’abord parce qu’on en parle peu. Ensuite parce que ce « dragon » de l’UE avait perdu de sa superbe au moment de la crise systémique de la fin de la décennie 2000, avant de se redresser ensuite. Cela mérite l’attention. Enfin, du fait que l’Irlande est considérée comme le porte-avions des grandes sociétés high-tech américaines en Europe.

Nous nous sommes entretenus avec la directrice de Business France à Dublin, Gisèle Hivert-Messeca, à propos des opportunités ouvertes à nos PME-PMI en matière d’implantation ou d’exportation de produits sur place. Nous mettons aussi l’accent sur deux entreprises satisfaites de leurs opérations en Irlande.

L’Irlande a tangué dangereusement à la fin des années 2000. Après une période faste où ce pays historiquement pauvre (pauvreté qui donna lieu au début du XXe siècle à un exode à maints égards tragique) avait connu une croissance digne de l’Asie, l’Eire chuta lourdement.

En 2015, la croissance attendue est de 5,6%, après 5,2% en 2014, ce qui en fait un des meilleurs élèves de l’Union européenne avec la Pologne ou l’Espagne, toutes proportions gardées de taille évidemment. Dès décembre 2013, l’Irlande avait annoncé sa sortie du programme d’aide UE-FMI. Quant au déficit, il devrait être contenu au-dessous du fameux seuil de 3% exigé en principe pour les pays de la zone Euro. Il est vrai que l’Irlande a mis en place une fiscalité très attractive pour les investisseurs, ce qui attire en particulier les capitaux américains. La dette publique, mais aussi celle des ménages, n’en demeurent pas moins élevées.

 

2014 : un commerce bilatéral en baisse

 

Le commerce bilatéral franco-irlandais s’est avéré en repli en 2014, tant du côté des importations (-9%), essentiellement en raison de la chute des achats français de produits pharmaceutiques (-23%) et chimiques (-4,3%) que de nos importations.

Dans le même temps en effet, les importations françaises reculent de 6% seulement, ce qui aboutit à diminuer sensiblement notre déficit – structurel – dans nos échanges avec ce pays de l’extrême ouest européen (-11%).

Cependant, nos ventes se sont donc orientées en baisse. Les produits agricoles (-30,4%), les produits pharmaceutiques (-22,8%) ou encore les matériels de transport (-16,1%) sont très impactés. Notons que les produits pharmaceutiques et chimiques composent une part très importante de nos échanges bilatéraux, dans la proportion ¾ d’achats, ¼ de ventes.

Nous sommes le sixième fournisseur de l’Irlande (4,7% de part de marché), sixième client loin derrière le Royaume Uni (32%), les Etats-Unis (11%) mais aussi l’Allemagne (8%), la Chine (6%) et même les Pays-Bas (5%). Peut mieux faire donc ! D’autant que notre déficit, s’il s’est réduit l’an dernier, atteignait encore la bagatelle de 3,72 milliards d’euros.

Gisèle Hivert-Messeca tempère cependant quelque peu l’importance de ce déficit. Certaines de nos exportations passent en effet par le port de Rotterdam, ou par l’intermédiaire de distributeurs britanniques.

 

Les Français bien accueillis

 

Alors, qu’est-ce qui pousse nos compatriotes à collaborer avec l’Irlande ou à s’y implanter ? Tout d’abord peut-être le fait que c’est le seul pays anglophone de la zone Euro avec Malte, et qu’il peut servir de plate-forme pour conquérir le Royaume-Uni, les pays scandinaves ou encore les Etats-Unis. « Toutes les familles irlandaises ont des parents outre-Atlantique, souligne Gisèle Hivert-Messeca, et les liens entre eux sont très étroits ».

Deuxième point, la fiscalité des entreprises y est attrayante (12,5% d’IS). En revanche, l’impôt sur les revenus figure parmi les plus élevés d’Europe, avant un taux d’imposition de 40% qui arrive très vite.

Troisième point, une relation agréable entre Irlandais et Français : « Nous partageons trois siècles de coopération comprenant des temps forts où nous avons soutenu les Irlandais dans leurs velléités d’indépendance », insiste la directrice de Business France à Berlin. Notre langue est la deuxième enseignée, à coté des langues officielles, l’anglais et le gaëlique. Au demeurant, « les Irlandais sont d’un naturel très chaleureux, même si pour être admis à part entière, il faut un certain temps ». A noter que, contrairement à la légende ( ?) illustrée par un célèbre et vieux film, où s’illustrait John Wayne, « Les Irlandais ne sont pas conflictuels » et préfèrent éviter, en tout cas dans les affaires, les franches explications. Et on a intérêt à ne pas commettre d’impairs, car l’Irlande, pays insulaire et relativement peu peuplé, fonctionne en réseau. « Tout le monde se connaît, a fréquenté les mêmes écoles et lycées, suivi ses études supérieures au même endroit, est membre des mêmes clubs de sport », argumente Gisèle Hivert-Messeca.

Les Irlandais ont su faire preuve d’une grande résilience dans les épreuves, en particulier au moment de la grande crise financière de 2008, en acceptant
– momentanément – de gros sacrifices sur leurs salaires, il est vrai alors souvent très élevés, avant de rebondir ensuite. Et ils cherchent à faire d’un handicap un avantage comme avec le vent, fort et fréquent, qui présente l’avantage de propulser les éoliennes bien sûr. L’agri-agro demeure cependant un des moteurs principaux en termes d’emploi, sinon de PIB (premier employeur mais 9% du PIB). Les TIC, qui occupent moins de monde, représentent en revanche 25% du PIB.

Le domaine de la santé (dispositifs médicaux, médicaments) est très important également. Les grandes multinationales américaines de ce secteur sont présentes, de même que les fleurons français. Le secteur de la santé, vu du point de vue  de la couverture des soins, a cependant encore des étapes de modernisation à franchir. Le gouvernement irlandais a constitué une dotation budgétaire importante dans ce but, ciblant spécialement l’e-santé. « Des parts de marché sont à prendre », alerte Gisèle Hivert-Messeca. C’est le cas aussi dans le secteur de la high tech alors que « nous vendons beaucoup de logiciels en Irlande ». Lors d’une manifestation de début novembre à Dublin, le Web Summit, 200 start-ups, dont 18 accompagnées par Business France, étaient présentes. Le secteur du développement durable est à surveiller, un secteur où nous sommes bien placés techniquement.

Bien entendu, vue d’Irlande, la France est aussi et d’abord synonyme de bien vivre comme de luxe. Nos vins y sont bien appréciés, ce qui est important car la consommation de ce breuvage y augmente. Nous sommes bien placés dans le moyen et le haut de gamme, nos concurrents du nouveau monde semblant en perte de vitesse et davantage cantonnés à l’entrée de gamme.

Si vous employez des collaborateurs sur place, vous trouverez une main d’œuvre jeune, à peu près aussi bien formée qu’en France et de culture internationale. 35% des Irlandais ont moins de 35 ans et 30% ont fait des études supérieures. Cependant, la main d’œuvre française s’avère parfois moins coûteuse et certaines entreprises, d’origine tricolore installées sur place depuis longtemps, ont préféré s’installer leur centre R&D… en France.

30 000 Français vivent probablement actuellement en Irlande, expatriés à titre personnel, ou travaillant pour de grands entreprises (Renault, Veolia, JC Decaux, Schneider, Crédit Agricole, Servier, Saint-Gobain…) ou des PME-PMI.

Le tableau décrit par les experts de Business France est rose. Cependant, Gisèle Hivert-Messeca avertit sur les faiblesses de l’économie irlandaise : « Les finances publiques demeurent fragiles, limitant encore les disponibilités budgétaires, le taux de chômage (11%) est élevé, surtout chez les jeunes, et la dépendance vis à vis des investissements étrangers est grande, d’où l’importance pour l’Irlande de garder le faible taux d’IS actuel».

 

Hopscotch Europe : un « hub » français de RP à Dublin

Patrick Frison-Roche a créé en 2006 à Dublin ce qui devait devenir le « hub européen » du groupe de communication éponyme. Il nous explique les raisons de cette implantation et ses avantages.

 

Hopscotch est un groupe de communication français œuvrant  autour de trois axes : la communication événementielle, la communication numérique, enfin les relations presse ou relations publiques classiques. Elle résulte de l’intégration en 2011 de deux sociétés du secteur des RP, Le Public Système et justement Hopscotch, dont le nom a été retenu pour fédérer l’ensemble.

Dès 2006, une structure Europe de Hopscotch était donc créée à Dublin « en joint venture » avec Patrick Frison-Roche, ancien journaliste et spécialiste du métier des RP. Ce service « traditionnel » s’est élargi progressivement au travail de relation avec ceux que l’on convient d’appeler des « influenceurs » (blogueurs, analystes spécialisés, hyperactifs sur Twitter, bénéficiaires de nombreux suiveurs sur Facebook, producteurs de contenus divers…). La plate-forme de Dublin a été choisie pour initier et développer des marchés hors de France. L’idée était de fixer un hub pour piloter des opérations de RP dans différents pays pour des clients dont la base principale ne se situe pas dans l’Hexagone.

Plutôt que de s’installer dans plusieurs pays par le biais de rachats de réseaux existants ou par des créations ex nihilo, une seule base installée hors de France gère l’ensemble. « Cela évite beaucoup de pertes de temps occasionnées par la coordination entre des entités différentes», explique en substance Patrick Frison-Roche. « Le temps ainsi économisé nous permet de produire à meilleur compte, poursuit-il en substance, du coup nos propositions financières sont plus attractives, nous pouvons couvrir davantage de pays et nous sommes plus réactifs. » Cela suppose de recruter des personnels ayant acquis une expérience professionnelle dans plusieurs pays, et un esprit multi-culturel. Voilà le lien avec l’Irlande.

« L’Irlande est en effet un réservoir de ressources humaines multi-culturelles », explique Patrick Frison-Roche, en raison de la présence de longue date de firmes américaines y ayant installé leur bases d’avant-vente et de marketing, puis l’arrivée de celles de la nouvelle économie : Google, Facebook, LinkedIn, Yahoo… Plusieurs milliers de personnes venues d’un peu partout y travaillent, sans compter les sociétés satellites. Ce qui crée un vivier. La deuxième raison de l’implantation de Hopscotch à Dublin est d’ordre économique. On sait que l’Irlande pratique un taux d’IS faible. « Il en est de même pour les charges sociales globales » illustre Patrick Frison-Roche, avec un taux de charges sociales de 12% contre environ 52% en France ». Même si les salaires y sont un peu plus élevés que dans notre pays, les employeurs y trouvent leur compte. Il en est de même pour la qualité de la main-d’œuvre, grâce à l’attrait exercé sur la jeunesse européenne par la capitale irlandaise, ainsi que par un système d’éducation performant. De plus, « l’environnement est très libéral, favorable aux entreprises et le pays est très dynamique ». Cependant attention : « l’environnement législatif, de type anglo-saxon, est plus piégeux qu’en France, car non écrit et, contrairement à ce que l’on dit, il existe un droit du travail. Ne pas le respecter peut coûter beaucoup plus cher que dans l’Hexagone. L’Irlande n’est pas un pays de cow-boys », avertit Patrick Frison-Roche, néanmoins heureux dirigeant d’une entreprise qui compte là-bas 15 collaborateurs.

 

Youpass : une start-up à Dublin

Dublin est véritablement le paradis de la high-tech. Pour preuve, l’installation de nombreuses start-ups françaises sur place. Un exemple parmi d’autres : Youpass.

 

Comme son nom ne l’indique pas, la maison-mère de Youpass, basée à Nice, est française. Youpass propose une solution de paiement principalement destinée aux adolescents qui souhaitent acquérir des jeux vidéo, mais qui ne disposent pas des moyens de paiement classiques pour ce faire (carte Visa, compte Paypal…).

En passant par Youpass, ils ont la possibilité de prépayer la vidéo de leurs rêves qu’ils acquerront sur le site de leur choix (Amazon…) en utilisant le crédit qu’ils ont auprès de leur opérateur mobile. Le règlement une fois effectué de cette manière, ils obtiennent un code qu’ils feront valoir ensuite après la validation de leur achat auprès du distributeur concerné. Cette jeune start-up, née en 2011, mais qui a trouvé sa vraie voie en 2013, est en pleine progression, si l’on en veut pour preuve la croissance de ses effectifs depuis, de 10 à 35 personnes aujourd’hui.

Si le siège de Youpass est situé à Nice, la société a créé deux filiales, localisées respectivement en Grande-Bretagne et donc en Irlande.

 

Dublin : ville-clé de la Fintech

 

Lionel Ferri, directeur technique du groupe, explique ainsi en substance cette dernière localisation : « Nous avons choisi Dublin car c’est la ville-clé du financement basée sur les IT, la Fintech. La ville est le lieu d’établissement de prédilection des starts-ups de ce secteur, l’écosystème y étant favorable ». Cet écosystème est d’autant plus favorable que l’on peut trouver sur place « un vivier de ressources humaines impressionnant, tant du point  de vue des profils qu’en termes quantitatifs ». Et de citer les grandes entreprises « techno » présentes sur place (Amazon, Google…).

De plus, Lionel Ferri souligne l’accompagnement actif à l’implantation d’un organisme d’Etat « qui a su nous mettre en relation avec les banques, nous aider à trouver un local, à ouvrir un compte en banque localement… ». Il se félicite également d’un environnement favorable au business où l’implantation de personnes de nationalité étrangère venant travailler en Irlande est facilité (permis de travail, adhésion au système de sécurité sociale…).

Petit bémol soulevé par Lionel Ferri : une certaine difficulté à faire venir des ressortissants français en Irlande, au-delà de séjours de courte ou moyenne durée. Or, la collaboration de Français est essentielle pour Youpass, tant son marché est pour l’instant essentiellement franco-français, en dépit de ses localisations extérieures, et même si la start-up a des projets ambitieux de conquête de marchés « hors de l'Hexagone ».

 

Vincent Gardy

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